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Entre les journalistes de « Mediapart » et les lecteurs souhaitant partager des informations, un lien : le pôle éditorial du service abonnement. © Illustration : Sophie and the frogs Au
sein du service abonnements de _Mediapart_, une équipe de trois personnes analyse tous les courriers électroniques envoyés à l’adresse contact du journal. Et répond aux lecteurs. Un lien
essentiel avec la communauté et une potentielle mine d’information pour les journalistes. Xavier Eutrope Publié le 02 septembre 2024 _« Bonjour à toutes et à tous, nous pouvons commencer. »
_Lénaïg Bredoux, codirectrice éditoriale de _Mediapart_, lance la réunion de rédaction. Dix heures. Tous les employés de l’entreprise peuvent y prendre part. Beaucoup se trouvent dans les
bureaux à Paris. Un certain nombre la suivent chez eux, en télétravail. Et d’autres — c’est moins connu — depuis les locaux de _Mediapart_ à Poitiers. Damien Gauvin prend des notes sur son
ordinateur, devant une grande télévision équipée d’une caméra. Il fait partie de la dizaine de salariés de l’entreprise localisés dans la capitale de feu la région Poitou-Charentes. Toutes
et tous dépendent du service abonnement du média. Trois équipes le composent. L’une dédiée à la relation avec les particuliers. L’autre se concentre sur les abonnements collectifs et les
offres professionnelles — un axe de développement pour _Mediapart_. Damien Gauvin appartient, lui, au troisième groupe : le « pôle éditorial ». ENTRE 500 ET 800 COURRIERS ÉLECTRONIQUES PAR
JOUR Composé de trois personnes — Damien Gauvin donc, mais aussi Marianne Roux et Emmanuelle Sammut —, ce pôle remplit quotidiennement trois missions. Un fil rouge les relie : transmettre et
synthétiser de l’information. La première de ces tâches : lire, répondre et transférer des mails. Une fonction triviale mais essentielle, car certains messages sont particulièrement
précieux. Entre 500 et 800 courriers électroniques parviennent chaque jour au service abonnement, situé dans le centre de la ville. Entre 200 et 300 arrivent dans les boîtes du pôle
éditorial, via l’adresse contact. Une part qui augmente lorsque l’actualité s’emballe. _« Nous lisons tout,_ explique Marianne Roux, _mais sur tout ce que l’on reçoit, la moitié va à la
poubelle. »_ Une partie des messages part automatiquement dans les spams. Dans le reste : beaucoup de critiques, de questions, d’insultes, de menaces. Pour les critiques ou les questions,
les trois membres du pôle peuvent prendre du temps pour répondre. Expliquer la ligne du journal, rappeler ses valeurs, son intérêt pour la défense de l’intérêt général. Une sorte de
médiation discrète. Les menaces remontent systématiquement à la police. Pas de réaction aux insultes. > « Au moment de l’affaire Benalla, nous avons reçu des > informations décisives »
Après ce tamisage chronophage, seuls restent les messages les plus intéressants, à destination des journalistes. _« Parfois, des gens contactent le pôle en sous-entendant vouloir nous
transmettre des éléments, _explique Cédric Lepecuchelle, chef du service abonnés. _Ce peut être assez évasif, et nous leur demandons d’étayer, de transmettre des documents si besoin »_ — le
site de _Mediapart _rend possible le transfert sécurisé de documents sensibles, avec un outil dédié. _« En 2023, j’ai écrit quatre ou cinq papiers basés sur des mails reçus, puis plus rien
pendant six mois »_, se remémore Camille Polloni, journaliste police justice pour _Mediapart_. La reporter accorde entre 15 et 20 % de son temps chaque semaine à la lecture des mails envoyés
par le pôle éditorial. _« Au moment de l’affaire Benalla, nous avons reçu des informations décisives via le pôle édito_, ajoute Antton Rouget, du pôle enquête. _Des choses brutes, à
vérifier, mais utiles. »_ Après un premier article du journaliste sur les affaires de la famille Vendroux au Variétés Club de France, des messages détaillant les mécanismes internes
parviennent au service abonnement. Et si les mails ne donnent pas lieu à des articles 100 % du temps, ils peuvent alimenter une réflexion. UNE QUINZAINE D’APPELS PAR JOUR « L’édito » ne
donne jamais directement les coordonnées des journalistes. Leur mission se limite à transmettre le message à la rédaction, au bon journaliste ou au service idoine. À eux de juger ensuite
s’il faut entrer en contact avec la source potentielle. La réunion de rédaction permet aux trois membres de l’éditorial d’identifier les désirs et intérêts des journalistes. Ils doivent y
participer, d’ailleurs, pour leur deuxième mission : produire un compte-rendu détaillant, en plus du planning de publication, les questions, discussions et propositions qui en émergent. Une
initiative au départ destinée au service de Poitiers, qui profite aujourd’hui à l’ensemble de la rédaction. Le pôle éditorial répond aussi à une quinzaine d’appels par jour, ce qui
correspond à sa troisième mission. Souvent, les appelants demandent une mise en relation avec la rédaction. Impossible. Sempiternel refrain : il faut envoyer un mail à l’adresse contact. _«
Prendre les appels n’est pas inintéressant mais ça devient très personnel, très vite,_ explique Emmanuelle Sammut. _C’est compliqué à cadrer et rarement qualitatif. Souvent les gens
attendent une aide, mais nous ne pouvons pas la donner. »_ L’AFFAIRE WOERTH-BETTENCOURT, UN TOURNANT Mais pourquoi ces tâches incombent-elles au juste à une équipe du service abonnement ? Et
pourquoi Poitiers ? Pour mieux comprendre, il faut remonter en 2009. Marine Sentin travaille à la communication de _Mediapart_, site lancé à peine plus d’un an auparavant. «_ Il fallait
tout inventer, on découvrait tout, personne n’avait de modèle »_, se remémore-t-elle. En l’occurrence, personne ne s’occupe des mails des abonnés. Elle commence à y répondre. Pas sa
prérogative, mais quelqu’un doit s’en occuper. Des collègues de l’informatique l’aident. L’activité prend de plus en plus de place. Jusqu’à devenir un mi-temps à part entière. Car au fil des
révélations de _Mediapart_, l’audience croît et la quantité de messages reçus augmente en proportion. L’affaire Woerth-Bettencourt, en juin 2010, marque un tournant. _« On passe de 40
courriels par jour à 2 000 »_, détaille Marine Sentin. Veille des vacances d’été, le temps presse : d’autres collègues prennent du temps pour l’aider ; recrutement en urgence pour pallier le
manque de bras ; achat d’un outil de suivi des demandes dans la précipitation. Pour des raisons personnelles, Marine Sentin souhaite partir à Poitiers. Le service abonnement prendra donc
forme là-bas. En 2014, Nicolas Lefol arrive, aujourd’hui vétéran du service — Marine Sentin a depuis quitté _Mediapart_. Le média atteint alors ses 100 000 abonnés — il en compte aujourd’hui
deux fois plus, et communique un chiffre d’un million de personnes ayant été, un jour ou l’autre, abonnées au site. Durant deux ans, tout reste, selon lui, _« très artisanal »_ : _« Il y
avait peu de liens avec la rédaction à l’époque, on transmettait moins les choses de manière individuelle aux journalistes »_, détaille le_ « fossile »_ — le terme vient de lui. UN BOND
INÉDIT DE 50 000 ABONNEMENTS 2020, tournant : l’épidémie de Covid. _« Nous avons à l’époque un afflux de mails_, explique Nicolas Lefol. _Les gens ont peur, regardent YouTube, nous
transmettent des documents secrets, connaissent des remèdes… »_ Un bond inédit de 50 000 abonnements en quelques mois force à revoir le fonctionnement du service. Encore une fois. _« On
s’est rendu compte que si tout le monde répondait à tout, c’était inefficace »_, expliquent en chœur Éa Péricat et Fanny Jean, aujourd’hui à la relation client. L’importance d’identifier les
messages ayant un intérêt pour la rédaction devient évident. Le pôle éditorial voit alors le jour. Des échanges réguliers entre ses membres et les journalistes permettent d’ajuster les
attentes et la méthode. _« Nous demandons ces retours, ils nous aident à nous former, à savoir ce que donnent les informations que l’on transmet, pour mieux cerner notre activité »_,
explique Damien Gauvin. > « On apprend en avançant » Dans de nombreux médias, les relations avec l’extérieur se retrouvent gérées par des services externalisés. Avec de la perte
d’informations à la clé. _« Il est très fertile d’avoir ces équipes dans l’entreprise même, dédiées à ces tâches »_, estime Antton Rouget. Face au trop-plein d’information (_« un problème de
riche »_, convient-il), opérer un tri dans les messages s’avère indispensable. Antton Rouget et Camille Poloni ont fait le déplacement au printemps. Les deux journalistes essaient, autant
que possible, de tenir le service au courant de l’utilisation des informations transmises. Ils ont connu des fonctionnements similaires lors d’expériences passées. Pour l’un au _Canard
enchaîné_, pour l’une à _Rue 89_. Mais pas à ce niveau d’organisation et de réflexion stratégique. Le pôle éditorial constitue aujourd’hui une véritable pierre angulaire de _Mediapart_. Une
somme de missions hétérodoxes, pour un service atypique dans le paysage médiatique. Le résultat d’expérimentations consécutives. _« On apprend en avançant »_, résume Nicolas Lefol.