L’esport adoubé par la télévision

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À l’instar de L’Équipe 21, le sport électronique envahit les écrans des chaînes de télévision du monde entier, qui en espèrent un bénéfice d'audience. Guillaume Galpin Publié le 25


janvier 2016 Le monde du sport et celui de la télévision entretiennent depuis toujours des relations vertueuses. Certaines pratiques sportives, par leur capacité d’engouement, fédèrent


d’importantes audiences pour la télévision, qui participe en retour à leur massification. Le sport électronique, c’est-à-dire la compétition liée à la pratique de jeux vidéo, existe depuis


plus de vingt ans. Popularisé par les plateformes de streaming comme Twitch, le développement du eSport – son autre nom – a cependant longtemps souffert d’un manque de considération de la


part de la télévision. Mais depuis peu, ce grand média populaire a franchi une étape dans la reconnaissance de ce sport un peu particulier qui était à l’origine un spectacle de niche réservé


aux seuls pratiquants. Après des années de croissance exponentielle et de professionnalisation, l’eSport a en effet atteint un seuil d’audience assez important pour être diffusé sur le


réseau câblé. Il s’agit d’une consécration pour les fans et les éditeurs de jeux qui profiteront d’un relais d’audience indispensable pour développer leurs communautés de joueurs. QUAND LA


TÉLÉVISION S’EMPARE DU PHÉNOMÈNE En France, L’Équipe 21 a retransmis ce type de compétition pour la première fois en octobre 2015 sur une chaîne accessible en clair avec la finale de la


Coupe du monde ESWC _FIFA 16_, un jeu vidéo de football. Le service public anglais a quant à lui diffusé les quarts de finale du championnat du monde de _League of Legends_, un des jeux


eSport les plus populaires du moment, sur sa chaîne BBC Three. Les Américains de l’ESPN, un réseau de télévision dédié au sport, pratiquent la même démarche et ont couvert la finale du


championnat universitaire de _Heroes of the Storm_. Cette expérience s’est avérée concluante pour ces chaînes puisque L’Équipe 21 a décidé de faire de l’eSport un programme récurrent en


lançant l’E-Football League, un championnat de France de _FIFA 16 _à partir du 22 janvier 2016. « On espère élargir notre public », explique Fabrice Jouhaud, le directeur général de la


chaîne, « l’eSport est une compétition spectaculaire loin d’être confidentielle ». > Les grandes compétitions sportives sont les programmes les plus à > même de réunir de nombreux 


téléspectateurs Le secteur de l’audiovisuel aurait tort de se priver de cette manne pour augmenter ses audiences. À l’heure de la VOD, les événements en direct - et en particulier les


grandes compétitions sportives - sont les programmes les plus à même de réunir de nombreux téléspectateurs. D’autant plus que l’audience de l’eSport(1) est majoritairement jeune et constitue


une cible de choix pour les annonceurs : 72 % des fans d’eSport seraient âgés de 10 à 35 ans. Pour diffuser cette année des programmes d’eSport sur leurs canaux, certaines chaînes


n’hésitent pas à investir des sommes importantes, soit en créant leurs propres compétitions, soit en faisant l’acquisition de tournois existants. Le leader de la diffusion sportive en Suède


Modern Times Group a ainsi racheté Turtle Entertainment et Dreamhack, de grands promoteurs européens de l’eSport propriétaires de compétitions comme l'Electronic Sports League (ESL),


pour réaliser des contenus audiovisuels. Ces deux opérations lui auront coûté environ 104 millions d’euros. Turner Broadcasting System, le groupe audiovisuel qui possède la chaîne


d’information en continu CNN, a créé un partenariat avec WME/IMG pour diffuser un tournoi sur le jeu_ Counter-Strike : Global Offensive_. Cette compétition sera diffusée sur TBS en _prime


time_ tous les vendredis soirs en 2016 pendant 20 semaines. DES COMPÉTITIONS DE JEUX VIDÉO DE PLUS EN PLUS TÉLÉVISUELLES Ceux qui doutent encore du potentiel télévisuel de l’eSport, comme a


pu le faire un moment le patron de l’ESPN John Skipper, vont rapidement changer d’avis. À tous égards, une compétition d’eSport peut être comparée à une compétition de football. Dans un


article, _Le_ _Monde_ assimilait même la rencontre de deux équipes d’eSport au « classico » PSG contre l’OM. « En s’emparant des codes des sports traditionnels, l’eSport a facilité sa


diffusion télévisuelle », analyse Nicolas Besombes, sociologue du sport qui a travaillé sur la médiatisation du sport électronique. La mise en scène est en effet calquée sur celles des


grandes compétitions sportives avec ses sponsors, équipes, joueurs, entraîneurs et commentateurs. Rivalités, transferts et parties cultes rythment ce secteur, tout comme d’autres sports


traditionnels. Chaque compétition a un calendrier très précis et les affrontements sont rythmés par des systèmes de manche. À la fin d’une partie, un plateau d’experts analyse les bons et


mauvais points de chaque joueur ou équipe. Pour être accessible au grand public, « le monde de l’eSport a professionnalisé des commentateurs afin de rendre les jeux plus compréhensibles et


[pour] qu’ils animent les rencontres en faisant le show », explique le sociologue. > Les organisateurs de compétitions sont allés jusqu’à investir > les lieux de pratique des sports 


traditionnels Les organisateurs de compétitions sont allés jusqu’à investir les lieux de pratique des sports traditionnels. Le terrain de l’équipe de basket-ball des Lakers ou celui de


l’équipe de football de Chelsea ont ainsi accueilli des compétitions de jeux vidéo.  « Certains jeux ont été développés en copiant la retransmission télévisuelle, notamment les jeux de


simulation sportive et de voiture », ajoute Nicolas Besombes. Ces jeux vidéo sont donc particulièrement adaptés au format télévisuel. Pour les autres jeux, « les développeurs ont conçu des


modes spectateurs où le public peut être omniscient et voir tout ce qui se passe ». QUELS IMPACTS POUR LES ÉDITEURS DE JEUX ? Le seul frein à la médiatisation télévisuelle de l’eSport reste


la complexité de certains jeux. « Les jeux qui génèrent aujourd’hui le plus d’audience sont des jeux qui ne sont pas grand public », explique Matthieu Dallon, directeur général d'Oxent,


une société organisatrice de tournois de jeux vidéo (dont l’ESWC). « Si vous n’êtes pas joueurs, vous ne comprenez pas ce qui se passe. » Les mécaniques de certains jeux demandent en effet


un niveau d’expertise conséquent pour les apprécier comme la connaissance des héros, des classes ou des pouvoirs. « L’un des enjeux pour l’industrie du jeu vidéo va être de pouvoir créer des


jeux qui dépassent la sphère du connaisseur pour parler à des gens qui ne sont pas joueurs », ajoute-t-il. Car l’industrie vidéoludique a tout intérêt à voir le phénomène se développer.


Vitrine pour leurs jeux, l’eSport est perçu comme un axe de développement essentiel pour fédérer leurs communautés de joueurs et les faire grossir, à tel point que les grands studios, s’il


ne possèdent pas déjà leurs propres compétitions comme Riot Games, investissent dans des compétitions déjà existantes. Activision-Blizzard, le premier éditeur de jeux vidéo au monde, a ainsi


racheté la Major League Gaming (MLG), une société organisatrice de compétitions d’eSport, pour 42 millions d’euros. Une entreprise qui a un partenariat avec l’ESPN pour diffuser à la


télévision des compétitions des jeux _Counter-Strike : Global Offensive_ et _Call of Duty_... Bien que l’eSport se soit développé grâce à la technologie du streaming, la télévision est un


relais d’audience à ne pas négliger. L’intérêt convergent du secteur audiovisuel et du secteur vidéoludique pour l’eSport inspire donc un avenir radieux pour la discipline, qui devrait


poursuivre sa croissance dans les prochaines années. Le gouvernement lui-même ne s’y est pas trompé et entend favoriser le développement des compétitions de jeu vidéo en France, tout en le


dotant d’un cadre législatif. -- Crédit photo : _ESWC 2015 Lol Women _3. Oxent /Flickr avec l'aimable autorisation d'Oxent Vidéo : _ESWC Call of Duty 2015. Official Aftermovie_.


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