
- Select a language for the TTS:
- French Female
- French Male
- French Canadian Female
- French Canadian Male
- Language selected: (auto detect) - FR
Play all audios:
LA PRESSE JUIVE TENTE DE REPARTIR DE L'AVANT Dans les années 1950 et 1960, les contributeurs du mensuel _L'Arche_, un magazine édité par le Fonds social juif unifié (FSJU),
publiaient de nombreux articles. Ils commentaient l’actualité, refaisaient le monde, parlaient du judaïsme, d’éthique, de notre rapport au monde. Entre toutes ces belles plumes, il y avait
le philosophe israélien et autrichien Martin Buber ; l’écrivain Albert Camus ; le poète et dramaturge Edmond Fleg ; le philosophe Vladimir Jankélévitch ; l’exégète André Neher ; le
philosophe Emmanuel Levinas ; le romancier Albert Memmi ; l’écrivain André Spire ; l’historien Léon Poliakov et tant d'autres. C’est justement dans le numéro 1 (19) de _L’Arche_ du mois
de janvier 1957 qu’Emmanuel Levinas définissait l’intellectuel juif1 : « Il faut que, dans les communautés de demain, les intellectuels (…) soient les représentants autorisés du judaïsme.
Autrement dit, l’action principale doit se concentrer sur les étudiants. Mais, pour cela, il faut élaborer un accès nouveau au judaïsme (…) Il ne peut, peut-être, dans l’affaiblissement des
formes classiques de religions, attirer les éléments d’avant-garde. L’idée même de propagande religieuse est contradictoire dans les termes. La religion, pour un juif, n’est pas question de
propagande, mais d’enseignement. C’est donc en tant que culture qu’il faudrait présenter à l’attention des intellectuels, que nous croyons, par définition curieux, un judaïsme qui représente
une culture complète, comme il existe des nourritures complètes. En réduisant — ne fut-ce qu’au départ — le judaïsme à un enseignement, on n’en donne ni une image diminuée ni fausse,
puisque l’étude des grands textes du judaïsme a été présentée par ses docteurs les plus autorisés, comme équivalent de ses disciplines (…) Et nous croyons que le judaïsme est la vérité,
capable d’entrer dans la pensée des hommes… » L’historienne Sandrine Szwarc y voit comme l'acte de naissance de ce qui allait naître quelques mois plus tard : le Colloque des
intellectuels juifs de langue française... En 1957, Edmond Fleg et le compositeur Léon Algazi fondent le fameux Colloque qui allait devenir un lieu de référence et de réflexion pour les
intellectuels. Dès lors, tous les deux ans, des intellectuels (le rabbin franco-israélien Léon Ashkénazi, les philosophes Henri Atlan, Vladimir Jankélévitch, Emmanuel Levinas, Robert
Misrahi, André Neher ou Jean Wahl …) se rencontraient pour débattre. Très vite, le Colloque allait s’incruster dans le paysage afin de définir l’épineuse question d’une judéité plurielle et
multiple. Loin de n’être seulement que des intellectuels de religion juive, ils furent des penseurs – athées ou croyants, freudiens ou marxistes, hommes de science ou politiciens, écrivains
ou artistes, professeurs ou poètes, philosophes ou rabbins, ashkénazes ou séfarades, femmes ou hommes – dont la conscience juive était affutée, quel que soit leur degré de pratique2. >
Notre rapport au monde a évolué, les problématiques ne sont plus > les mêmes et les lecteurs ont de nouvelles attentes C’est cette réflexion de tous les instants que la presse juive
relatait. Elle témoignait ainsi de cette effervescence intellectuelle. Hâtivement, nous dirons que l’on peut être nostalgique de cette grande époque, lorsque la presse juive rayonnait et
relayait tant de débats. Parce qu’aujourd’hui, les grandes plumes ne publient pas assez, ou plus du tout, dans la presse juive. Ce n’est pas seulement parce que nous n’aurions pas forcément
d’équivalents de Levinas, Jankélévitch et Neher, nous pouvons d’ailleurs admettre que les signatures ne sont plus aussi prestigieuses que celles d'hier... C’est aussi parce
qu’aujourd’hui, les intellectuels préfèrent publier ailleurs et/ou s’affronter sur les plateaux de télévision que les intellectuels ont changé. Notre rapport au monde a évolué, les
problématiques ne sont plus les mêmes et les lecteurs ont de nouvelles attentes. Marginale au sein d'une communauté française de près de 550 000 personnes environ, la presse juive tente
de repartir de l'avant. LES MÉDIAS ET LE SIGNIFIANT JUIF Aujourd’hui, qu’en est-il plus généralement de l'importance accordée au signifiant juif et de l'intérêt porté aux
questions posées par la communauté juive, dans la presse ? Les médias raffolent de ces sujets. Le signifiant « juif » interpelle : ce n’est pas seulement une religion, une culture, un
peuple, c’est un signifiant non réductible. Aussi, l’interrogation sur « qu’est-ce que c’est qu’être juif ? » entraîne les médias généralistes à se poser de nombreuses questions3 "
data-value=""> Alors, quid de la presse juive ? Elle est plus attentive à la pratique religieuse, consacre de longs articles pour décrire les fêtes, les célébrations multiples
ou historiques. Il s’agit aussi pour elle d’offrir aux lecteurs des articles qui vont les intéresser parce que certains d’entre eux sont des pratiquants, parce que la centralité d’Israël
dans le judaïsme — et plus généralement la couverture d’une actualité israélienne, souvent brûlante et compliquée — interpelle ces lecteurs. Ce sont également des pages dites d’actualité,
qui brassent une multitude de sujets anecdotiques, légers et/ou plus importants et qui concernent le judaïsme dans le monde entier. Et puis, il y a l’abondante actualité communautaire et/ou
institutionnelle, nationale ou régionale, qui peut intéresser tout le monde. QUESTIONS ÉPINEUSES ET POLÉMIQUES INNOMBRABLES Ces dernières années, la presse généraliste française a publié de
nombreux articles pour parler des agressions antisémites dont de nombreux juifs de France ont été les victimes. Des journalistes ont également évoqué les cris de « Mort aux juifs » qui ont
été scandés lors de certaines manifestations pro-palestiniennes, en plein Paris. Mais la litanie quotidienne des agressions antijuives ne donna lieu qu’à de trop rapides commentaires,
notamment durant les années 2000-2005. > Chacun peut penser que les journalistes seraient forcément de > l’un ou l’autre camp et qu’ils serviraient les intérêts de > la « propagande
» adverse Ces atermoiements susciteront le doute dans la communauté juive. Les choses changeront par la suite. Et le conflit israélo-palestinien ? Plus que pour tout autre conflit, chacun
d’entre nous peut suivre ses multiples péripéties, rebondissements et violences. Les images télévisées de victimes innombrables et des déclarations intempestives s’interposent dans notre
quotidien : images d’Intifada, d’attentats terroristes, de souffrances et de crimes. À loisir, on peut y déceler — en fonction de sa sensibilité ou de sa compréhension — un coupable, une
victime et comme ce conflit est tout sauf neutre, chacun peut penser que les journalistes seraient forcément de l’un ou l’autre camp et qu’ils serviraient les intérêts de la « propagande »
adverse. BLOGS ET SITES : CONSOLATION COMMUNAUTAIRE ? LES LECTEURS DÉCROCHENT-ILS ? Comment réagit-on dans une partie de la communauté juive ? « Ils (les juifs) ont l’impression d’être
lâchés par les médias français, ils ne se sentent pas représentés, analyse le sociologue Erik Cohen. Alors, au bout d’un moment, ils décrochent. » C’est ainsi que, ces dix dernières années,
Internet est devenu « la consolation communautaire ». Les blogs se multiplient sur la Toile mais peuvent se révéler être des outils de militance. > Ces dix dernières années, Internet est
devenu « la consolation > communautaire » Arborant le drapeau israélien, tel site « se donne l’objectif de lutter contre l’information qui désinforme, et la désinformation qui informe ».
Le blog dénonce en vrac les censures en France ou encore les prises de position de nos dirigeants4. Pour David Saada, l’ancien directeur du Fonds social juif unifié, « il y a une irritation
forte dans la communauté juive. Cela est dû à l’attachement émotionnel très fort à Israël, qui n’est pas le monstre militariste qu’on présente dans les médias. Les soldats de Tsahal sont
souvent des proches, de la famille. Quand les juifs entendent dans les manifestations "Mort à Israël" ou "Israël assassin", ils acceptent forcément moins la critique5 ».
Alors, sur Internet, certains blogs — souvent très à droite sur l’échiquier politique (israélien ou français) — peuvent adopter un ton agressif et les articles publiés peuvent poser
problème. Dans ces quelques publications, les institutions juives seront accusées de ne rien faire ou de ne pas suffisamment soutenir Israël. Des allégations qui provoquent de vives
polémiques. Prenons un exemple récent. Une affaire a suscité, à l’intérieur de la communauté juive, une vive polémique. Après la destruction accidentelle de 13 tombes du carré juif du
cimetière parisien de Pantin par un camion de la Ville de Paris, lundi 20 mars 2017, le grand rabbin de France et le président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif) se sont
émus du climat de « méfiance », voire de « complotisme », qui a suivi cette information, de nombreuses personnes mettant en doute la thèse de l’accident au profit de celle d’une profanation
à caractère antisémite. Mais, rien n’y a fait. Sur ces blogsou sur les réseaux sociaux, la « théorie » d’une éventuelle profanation se propage rapidement. Bref, ces rumeurs complotistes
sont comme un syndrome, celui d’un malaise évident et persistant, d’une perte de repère, de doutes et de rancœurs, dans un contexte particulièrement tendu, avec un antisémitisme persistant.
Rappelons ici que les plus de 8 000 actes antisémites (violences ou menaces) comptabilisés par le ministère de l’Intérieur, et perpétrés depuis l’année 2000 contre des membres de la
communauté juive ou contre des Lieux (synagogues, profanations de cimetières, établissements scolaires…) ont profondément marqué les consciences. Incontestablement, les juifs de France sont
inquiets et ont peur. REVUES : UNE CERTAINE VITALITÉ Cependant, lorsque nous parlons de la presse juive, comment pourrions-nous taire les belles pages que nous lisions et que nous lisons ici
ou là dans les différents médias juifs. Les dossiers spéciaux particulièrement riches et documentés ? Les entretiens et les interviews innombrables qui paraissent sur de multiples sujets,
lorsque les experts et spécialistes sont interrogés ? Les actualités communautaires si foisonnantes ? Les pages culturelles ou de mémoires ? Les informations politiques ou sociétales ? Les
rubriques nombreuses et particulièrement documentées qui portent sur la religion, la pratique, la foi, les textes ? Les billets et perspectives ou débats qui foisonnent ici ou là ? De par sa
diversité, la presse juive peut produire aussi de la qualité. Elle stimule, questionne, permet d’apprendre et de documenter, de découvrir et d’explorer. Encore faut-il faire un tri dans cet
ensemble aussi vaste. Tout n’est pas forcément intéressant, certains articles ou titres sont par trop orientés. Cependant, la vitalité culturelle juive est une réalité qui concerne tous les
domaines de la création, des journaux ou des sites relaient ces informations régulièrement6. Sans prétendre être exhaustif, citons quelques titres. La revue _Tenou’a__,_ proposée par le
Mouvement juif libéral de France7, est placée sous la direction du rabbin Delphine Horvilleur. Tissant les fils d’un dialogue entre religion, société, histoire, sciences et art contemporain,
_Tenou’a _accueille dans ses pages des intellectuels, acteurs publics et universitaires reconnus au sein de la communauté juive. Exemples ? Mars 2017, en partenariat avec le Colloque des
intellectuels juifs de langue française (19 et 20 mars 2017), _Tenou’a _propose d’explorer la violence et ses implications. En décembre 2016, _Tenou’a_ interroge la relation entre juifs et
chrétiens aujourd’hui, dans l’histoire et dans le texte. En février-mars 2014 est publié le premier numéro de _Mikhtav Hadash_, par les Massorètes8 . _La Lettre nouvelle_ est une revue de
réflexion pour un judaïsme ouvert à toutes les sensibilités et toutes les disciplines_. _Exemples ? En février 2014, la revue explore les courants du judaïsme, depuis 3 000 ans. En mai 2016,
la revue s’interroge. Quelle est la place d’Eretz Israël9 dans la conscience et l’imaginaire juifs ? C’est à cette question principale que tente de répondre le numéro. La revue _Pardès_ est
dirigée par le sociologue Shmuel Trigano. La collection conjugue recherche et réflexion, croisant philosophie, histoire, littérature et sciences religieuses. Et de grandes questions ouvrent
à la réflexion : « Sionisme et judaïsme », « Quel avenir pour la pensée juive de langue française ? », « Qu’est-ce qu’un acte antisémite ? » … À noter également _La Revue d’histoire de la
Shoah_, seul périodique européen consacré à l’histoire de la destruction des juifs d’Europe. Elle entend donner un aperçu des chantiers actuels de l’historiographie du judéocide. _La Revue
d’histoire de la Shoah_ ouvre également son champ d’étude aux autres tragédies du siècle : le génocide des Tutsi au Rwanda, celui des Arméniens de l’Empire ottoman et le massacre des
Tsiganes. Le Crif publie _Les Études du CRIF__, _qui ont été créées en juillet 2003. La collection comporte 44 numéros et 54 auteurs. _Les Études_ publient des textes qui s’apparentent à de
véritables études académiques d’une quarantaine à une soixantaine de pages. Au final, ce sont plus d'une centaine d'intellectuels et experts qui ont participé à cette collection.
Dont le philosophe Pierre-André Taguieff, Monseigneur Jean-Marie Lustiger, Monseigneur Jean-Pierre Ricard, Monseigneur Philippe Barbarin, le sociologue Didier Lapeyronnie, le philosophe des
religions Michaël de Saint Cheron, les historiens Joël Kotek, Johann Chapoutot, Anne Quindon-Caudal, Mireille Hadas Lebel ou Valérie Igounet… Notons également des titres de presse plus
populaires et plus généralistes comme _Actualité Juive_, un hebdomadaire communautaire juif très dynamique créé en 1982, aux informations variées. _Actualité juive_ est le véritable poumon
médiatique dans la communauté juive. _L’Arche__,_ qui publie des dossiers thématiques de belle qualité. Pour sa part, _Information Juive_ est un mensuel, qui parait pour la première fois en
octobre 1948. Aujourd’hui, il couvre les domaines de réflexion et d’actualités de notre temps, dans le monde juif francophone. Plus récent, le novateur et satirique site _Jewpop _renouvelle
le genre. Alain Granat, le directeur de publication explique : « _Jewpop_ est une nouvelle porte d’entrée sur le monde juif, un miroir de ses cultures contemporaines et passées, un lieu à
l’écoute de la création et de l’expression des vies juives d’aujourd’hui. Avec une ligne éditoriale volontairement large, où l’humour et le politiquement incorrect s’imposent naturellement.
Comment, en effet, ne pas rire de ce qui préoccupe juifs et non-juifs ? Si _Jewpop_ « voit des juifs partout ! », c’est parce que cette obsession est largement partagée… ». Enfin, après les
revues, nous citerons les émissions culturelles de la fréquence radio que se partagent les radios juives à Paris10. Rappelons qu’en 1981, la libération de la bande FM voit la création de la
première radio juive en France, _Radio J_ qui ouvrit la voie à _Radio Communauté_, _Radio Shalom_ et _Judaïques FM._ Elles se partagent depuis la même fréquence hertzienne (94.8). Les radios
juives de Paris et celles qui émettent de différentes villes de province fonctionnent comme un chœur. Elles participent de l’information en _live_, elles permettent aux auditeurs les plus
éloignés et les plus esseulés ou les plus inquiets d’apprendre, de comprendre et de s’informer en temps réel. Elles suscitent le débat, parce que les radios invitent quotidiennement des
spécialistes, experts, artistes ou politiques. Et, avec la chaîne franco-israélienne de télévision I24 news qui émet depuis Jaffa, en Israël, les téléspectateurs peuvent suivre en direct les
événements qui concernent la communauté juive ou Israël. Enfin, sur la Toile, le site d’_Akadem_ diffuse les conférences données par les plus éminents intervenants francophones11. C’est
ainsi qu’en utilisant tous les supports modernes (le son, l’image, l’interview, les accroches, les bandeaux et les flashs, les réseaux sociaux…), ces médias jouent un rôle indéniable,
puisqu’ils diffusent auprès de leurs lecteurs/auditeurs des informations de toute nature et des sujets précis. Aussi, même si la pre sse juive a changé depuis la fin des années 1950 et que
les intellectuels y sont moins représentés qu’auparavant, elle a le mérite d’exister et de repartir de l’avant, en faisant perdurer le rapport fondamental des juifs au texte grâce à des
revues de haute tenue. -- Crédit : Ina. Illustration : Émilie Seto _Emmanuel Levinas : être juif_, Sillages, Ina.fr * 1Je remercie l’historienne Sandrine Szwarc d’avoir attiré mon attention
sur ce texte et d’avoir orienté mon travail. * 2Sandrine SZWARC, « Intellectuels juifs et chrétiens en dialogue », Les Études du Crif, octobre 2014, numéro 31, pp. 10 – 11. * 3 * 4Claire
TOMASELLA, « Juifs de France : Le repli médiatique », Le Journal du Dimanche, samedi 10 juin 2010. * 5Claire TOMASELLA, op.cit. * 6Voir à ce sujet Sandrine Szwarc, « La culture (juive)
a-t-elle un avenir en France ? », Les Etudes du Crif, juillet 2016, p. 54. * 7Le judaïsme libéral est le mouvement religieux juif le plus important dans le monde, mais il est très
minoritaire en France. Ce courant reconnaît des femmes rabbins, effectue la prière en français plutôt qu’en hébreu et revendique l’accueil des enfants de couples mixtes. * 8Le judaïsme
Massorti est un mouvement juif religieux traditionaliste, animé par une compréhension évolutive de la Torah et de la Halakha (la loi orale) * 9La Terre d'Israël (hébreu : ??? ?????
Eretz Israel) est une étendue géographique comprenant les anciens royaumes d'Israël et de Juda, berceau du peuple juif. * 10Sandrine Szwarc, op.cit. * 11 Sandrine SZWARC, « La culture
(juive) a-t-elle un avenir en France ? », op.cit.