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© Crédits photo : MPAA. COMMENT FONCTIONNE HOLLYWOOD ? - ÉPISODE 3/17 Considérée comme « le lobby le plus influent de l’industrie de l’entertainment » aux États-Unis, la MPAA assure toujours
de nos jours la prospérité des grands studios hollywoodiens. Une position dominante qui ne la protège pas des critiques. Alexandre Bohas Publié le 17 janvier 2012 Il est souvent affirmé que
les sociétés hollywoodiennes se livrent sur le plan économique une concurrence féroce tandis qu’elles coopèrent sur le plan politico-sociale notamment au sein de la MPAA (Motion Picture
Association of America). Or, si la première assertion a été remise en cause1, la deuxième mérite également d’être reconsidérée. Sous l’acronyme MPPDA (Motion Picture Producers and
Distributors of America), l’organisation représentative, à l'époque, des cinq grands studios hollywoodiens est fondée le 10 mars 1922. Débauché du cabinet du président d’alors, Warren
G. Harding, William Hays prend la direction de cette association avec la mission de « de promouvoir les intérêts communs des professionnels du cinéma américain »2. Cet objectif articulé
autour de deux axes : d’une part la promotion des films à l’international - déjà analysé lors d’un précédent article - et d’autre part la protection de la création contre l’intervention
étatique et les critiques provenant des franges conservatrices de l’opinion publique. Il s’est traduit par des politiques élaborées d’autorégulation du cinéma et un lobbying actif auprès du
gouvernement américain. Il s’agira dans cet article d’analyser comment la MPAA contribue de nos jours à la prospérité des majors près d’un siècle après sa fondation. En effet, la
configuration d’Hollywood a assurément changé : les studios sont devenus des firmes multinationales et multimédia en majorité détenues par des compagnies bien plus considérables dont la
nationalité est souvent non-américaine tandis que leurs productions ont beaucoup évolué depuis l’ère classique du studio système. En outre, les contenus cinématographiques ne constituent
plus le seul média et les salles de projection ne forment plus le centre privilégié de diffusion audiovisuelle. Ajoutons que la société américaine apparaît de nos jours bien plus fragmentée
et ses demandes segmentées qu’au début du XXème siècle. Nous observerons que l’autonomie du cinéma hollywoodien demeure politiquement et légalement bien préservée grâce au lobbying puissant
de la MPAA, et qu’elle se trouve désormais aux prises avec des critiques toujours plus nombreuses et divergentes. Par ailleurs, son rôle de représentant de la Cité des anges est mis à mal
par la fragmentation de la filière hollywoodienne. L’AUTONOMIE D’HOLLYWOOD À TOUT PRIX La MPAA demeure connue pour le Production Code sur lequel portent d’innombrables ouvrages3 puis pour
l’actuel système des _ratings_. En fait, souhaitant éviter la censure de ses films et l’intervention gouvernementale dans le secteur du cinéma, les majors ont successivement institué
plusieurs mécanismes d’auto-contrôle. Ces derniers ont donné la possibilité aux studios de montrer aux publics le soin particulier porté au respect des bonnes mœurs et de la morale tandis
qu’ils leur ont permis d’effectuer des économies substantielles en évitant de financer des films qui eussent été censurés par les autorités fédérales ou locales. Depuis l’arrêt rendu par la
Cour Suprême des États-Unis à propos du film _Birth of a Nation_ (1915) de Griffith, les films considérés comme « un business, pur et simple » ne bénéficient pas de la protection de la
liberté d’expression conférée par le 1er amendement de la constitution américaine4. Aussi les productions cinématographiques, et donc la prospérité d’Hollywood, se trouvent-elles menacées
par l’ensemble des autorités publiques d’Amérique. Suscitant de vives critiques tant des comités de femmes dans les années 1910 que de la Ligue Nationale de la Décence des années 30
jusqu’aux années 60, les productions hollywoodiennes ont fait l’objet d’attaques et même de censures partielles ou totales. Afin d’éviter ces dernières, est institué, le National Board of
Censorship. Il prodigue alors des conseils non appliqués aux professionnels du secteur. À l’initiative de la MPDDA et soutenue par les grands moguls, une liste de don’ts and be careful est
éditée et s’impose à la faveur d’affaires médiatiques, telles que celle de Roscoe Arbuckle5, et de mouvements de mécontentements à l’encontre du milieu hollywoodien. Cette autorégulation des
contenus se développe tant et si bien qu’en 1924, William Hays se targue d’avoir rejeté 67 histoires6. Tandis que ce contrôle est resté jusqu’alors informel, il s’institutionnalise à la
suite du grand boycott de la Légion de la Décence en 1934. Un Production Code est alors édité. Écrit par deux figures de l’Amérique catholique7, cet ouvrage recense des règles dont les
principes se résument de la sorte : le péché ne paie jamais, il n’est d’amour durable et véritable que dans le mariage et les populations doivent respecter leur gouvernement. De manière
concomitante, est institué un service (Production Code Administration) qui délivre un certificat d’approbation. Si un film n’obtient pas ce dernier, il n’aura pas accès aux réseaux
d’exploitation des cinq grandes majors (MGM, RKO, Fox, Warner, Paramount) L’intervention du Studio Relations Committee et de la Production Code Administration s’impose alors à toutes les
étapes de la production : lors de l’écriture, de la réalisation et du montage du film. Il s’agit donc de limiter les interventions du politique et de ne pas gêner le_ status quo _social. À
titre illustratif, les productions hollywoodiennes veillent à ne pas présenter les noirs et les blancs sur un pied d’égalité afin de ne pas choquer les marchés du sud-est américain et de ne
pas dépeindre de façon trop caricaturale certaines catégories socio-professionnelles ou corporations industrielles et commerciales8. Alors que ces règles sont souvent dépeintes comme la
conséquence d’une société puritaine et de producteurs soumis aux publics, d’aucuns ont souligné que ce code ne reflétaient pas tant les pressions sociales qu’une réponse stratégique des
studios à celles-ci9. Il est par ailleurs révélateur qu’un contrôle similaire ait été appliqué sur les films à l’exportation dont les contenus ont pu être modifiés ou tout simplement non
distribués dans certains pays comme _The Big Carnival _(1951) de Billy Wilder10. Toutefois, ce code a perdu progressivement de sa valeur à partir des années 50 avec le revirement de la Cour
suprême qui considère, à travers l’arrêt rendu en 1952 au sujet du film _Miracle _de Rosselini, les films protégés par l’amendement 1 de la Constitution sur la liberté d’expression. Ainsi ne
risquent-ils plus d’être censurés par les autorités du pays. Par ailleurs, certains artistes se sont montrés davantage rétifs à cette autocensure comme Otto Preminger qui viola de manière
répétée le code à travers ses films tels que _The Moon Is Blue_ (1953) et _The Man With the Golden Arm_ (1955). À la fin des années 50, l’autorité de la PCA est davantage affaiblie par le
film_ Some Like It Hot_ (1959) de Billy Wilder qui obtient un succès exceptionnel sans avoir reçu le certificat de la PCA. Le déclin résulte aussi d’une certaine libéralisation de la société
américaine et surtout des transformations du secteur audiovisuel comme l’émergence de la télévision, et la fin de l’ère classique du studio système avec cinq grandes majors contrôlant les
acteurs, les salles de projection et les producteurs. À cet égard, il faut souligner que désormais les réseaux d’exploitation n’appartiennent plus aux studios hollywoodiens. En outre, de
manière décisive, la segmentation du marché audiovisuel, répondant aux nouveaux médias et à l’émergence de nouveaux publics, rend le code obsolète en ne proposant qu’un style de films et
donc en ne s’adressant qu’à un seul type de public. Il a pour conséquence de couper la filière cinématographique d’autres publics potentiels11. Aussi étant devenu impossible de l’appliquer,
le Production code est abandonné au profit d’un système des _ratings _qui permet aux majors de répondre aux nouvelles attentes du public tout en permettant aux parents de se repérer quant
aux films à aller voir avec leurs enfants et de rassurer les mouvements conservateurs de la société américaine. Mis en application en 1968 par le directeur de l’organisation représentative
nouvellement nommé, Jack Valenti, ce système se décline de la manière suivante : la licence G indique que le film peut être regardé par tous les publics, PG qu’il peut être regardé par les
enfants sous la surveillance de leurs parents tandis que le certificat PG-13 indique que certaines scènes du film sont susceptibles de heurter les enfants âgés de moins de treize ans. Enfin,
R exige l’accompagnement parental pour les spectateurs âgés de moins de 17 ans et NC-17 interdit l’accès aux salles pour les moins de 17 ans. La classification évolutive de ces films
s’opère d’après une logique proche de celle du code de production comme le degré de violence, les niveaux de langage, la présence de drogue et de sexualité12. Elle reste un sujet de
polémique dans le milieu hollywoodien à propos de la mise en cause de son impartialité et de ses critères de certification13 alors qu’elle demeure un enjeu pour les majors car le certificat
oriente inévitablement les publics et donc les recettes que rapportera le film14. Ainsi retrouve-t-on une logique similaire à celle du Production code, qui en est inspirée. Elle poursuit
l’orientation des publics et produit une homogénéité des œuvres hollywoodiennes, en s’adaptant à des publics davantage segmentés, multiculturels, à une société moins conformiste et puritaine
et dans un contexte d’abondance audiovisuelle. Non seulement la MPAA est-elle conduite à intervenir auprès du grand public mais aussi du gouvernement américain. UN LOBBYISTE : QUAND
HOLLYWOOD VA À WASHINGTON Comme toutes les organisations représentatives de grandes entreprises, la MPAA bénéficie auprès du gouvernement américain d’une « position privilégiée » pour
reprendre les termes de la théorie pluraliste du système politique américain15. Représentant une industrie prospère et exportatrice, elle a été très tôt soutenue à l’étranger par le
gouvernement américain. Elle forme une organisation élaborée avec des bureaux nationaux et internationaux. Ses financements sont sans comparaison dans le milieu du cinéma16. Ensuite, comme
développé dans un précédent article sur la MPAA17, cette dernière est consultée sur nombre de sujets comme la propriété intellectuelle, les accords commerciaux avec les pays étrangers et les
questions d’ordre audiovisuel. En outre, en tant que membre de l’International Intellectual Property Alliance, elle est associée aux décisions qui mènent à la mise sur la sellette d’États
et le cas échéant à leur condamnation pour « unfair trade practices » (pratiques commerciales déloyales) par les sections 301 et 306 de la loi sur le commerce18. Outre les fonds de cette
association, les studios hollywoodiens exercent une influence sur la politique de Washington car ils disposent de formes multiples de capitaux. En effet, l’aura de leurs acteurs, l’impact de
leurs symboliques et leur capacité à mobiliser la société américaine s’avèrent autant d’enjeux pour les hommes politiques qui expliquent la proximité des majors avec les plus hauts
dirigeants d’Amérique. N’oublions pas que parmi les anciens présidents des États-Unis figure même un acteur, Ronald Reagan. Les élections constituent l’occasion d’engagements pour beaucoup
de vedettes qui soutiennent publiquement le candidat de leur choix19. Il importe de préciser que la star détient dans ce pays un statut comparable à celui de l’intellectuel outre-Atlantique.
Autant dire que le représentant des studios occupe un rôle de choix dans les milieux gouvernementaux. Les hommes politiques se pressent notamment pour aller aux soirées cinéma de la MPAA,
située à quelques mètres de la Maison Blanche à Washington. Les majors ont toujours nommé au sommet de l’association des personnalités intimement liées avec les autorités fédérales : avant
d’être à la tête de l’association, Will H. Hay, avocat de formation, a travaillé au Comité national républicain et a occupé la position de secrétaire aux Postes et Télécommunications durant
l’administration Harding. Il en est de même pour Jack Valenti qui a figuré parmi les plus proches conseillers du président Lyndon Johnson et concernant son successeur, Dan Glickman, il a
passé 35 ans de sa carrière au Congrès et comme ministre de l’Agriculture sous l’administration Clinton20. Quant à l’actuel patron, il a assumé la position de sénateur pendant 36 ans21.
Malgré le système de certification mentionné précédemment, les critiques à l’égard d’Hollywood n’ont pas faibli. LA MPAA FACE AUX PUBLICS : DES COMMUNICANTS PRIS EN ÉTAU Représentant les
studios dans la société civile comme auprès des autorités politiques, la MPAA s’est toujours trouvée confrontée à des problèmes d’adaptation socio-culturelle et à des critiques cinglantes.
Ces dernières ont porté sur les contenus qui ne semblent pas conformes aux idéaux et mœurs de la société américaine. Les films qui mettent en scène des comportements licencieux comme les
longs métrages violents et irrespectueux des institutions sociales ont recueilli la part la plus importante de leur opprobre. À l’image d’un William Hays qui devançait ses critiques en
allant à la rencontre des groupes éducatifs, religieux et civiques22, la MPAA organise la défense de ses productions au cours de nombreuses cérémonies, conférences et festivals23. En effet,
il s’agit non seulement pour un art tel que le cinéma de trouver l’inspiration porteuse ou le concept-clef qui fera d’une production un succès, mais aussi de correspondre aux mœurs diverses
d’une société : ni choquer et, à l’inverse, ni rebuter par un trop grand conformisme. Conscientes de l’impact considérable des films et du retentissement de cette véritable « forme d’art
populaire »24, ces organisations rassemblant les mécontents prennent à partie Hollywood en l’accusant de corrompre la jeunesse et de favoriser la violence. L’organisation est prise en étau
entre les tendances conservatrices nostalgiques du passé qui regrettent la libéralisation morale, et les associations libérales qui la perçoivent comme le représentant anachronique de firmes
rétrogrades. Devant l’évolution de la cinématographie hollywoodienne vécue par certains comme un relâchement moral, les groupes conservateurs ont organisé de nombreux boycotts. Le film
_Brodeback Mountain_ (2005) portant sur l’amour homosexuel de deux cowboys a suscité de nombreuses réactions de protestation. Si leur impact économique reste réduit, elles contribuent
cependant à ternir l’image des compagnies hollywoodiennes et rencontrent souvent un large écho dans l’opinion publique. Se préoccupant surtout de la jeunesse, des églises évangélistes ainsi
que des associations catholiques ont concentré leurs critiques sur la firme Disney. Ils ont notamment encouragé leurs fidèles à ne plus acheter Disney de 1996 à 2005. L’American Family
Association, la Catholic League for Religious and Civil Rights, l’American Life League et les Anabaptistes du Sud lui ont reproché de promouvoir l’homosexualité et de financer des films de
Miramax. Cette dernière entité dirigée par les frères Weinstein a produit de nombreux longs métrages comme _The Priest_ (1994), _Pulp Fiction_ (1994), _Dogma _(1999) et _Kids _(1995), qui
pouvaient paraître irrespectueux de la religion et emprunt de violence. Essayant de séduire ces audiences et de répondre à leurs attentes en matière de cinéma, les producteurs d’Hollywood
ont développé une programmation centrée sur les centres d’intérêts de l’Amérique profonde comme les films religieux tels que _Passion of Christ_ (2004) ou _Nativity _(2006). À l’inverse de
cet excès de libéralisme dont on lui a fait grief, Hollywood se voit régulièrement accusé de véhiculer des stéréotypes raciaux et des valeurs conservatrices. À cet égard, le cas de la firme
Disney demeure révélateur de cet étau complexe qui renvoie à la diversité et aux contradictions de la société américaine elle-même. Selon les _gender studies_, Disney ferait des femmes des
êtres passifs, comme en témoignent effectivement les rôles tenus par Jasmine dans _Aladdin _(1992) ou l’héroïne de _La Belle et la Bête_ (1991). En outre, il lui a été reproché de
représenter de manière éhontée les Africains, les Juifs ou les Arabes dans _Aladdin_. Quant aux Afro-américains et aux Hispaniques, ils apparaîtraient sous les traits de hyènes dans _le Roi
Lion _(1994). Des associations telles que The Queer Nation ou l’Alliance des Homosexuels et des Lesbiennes contre la Diffamation (GLAAD) se sont plaintes du manque de reconnaissance à
l’égard des amours non-hétérosexuels et plus largement des minorities, bien qu’on ait observé ces dernières années un changement d’attitude des majors à l’égard des groupes minoritaires25.
Ces critiques ont conduit Disney à réaliser un film sur l’Indienne _Pocahontas_. Plus récemment, la firme a sorti _The Frog Princess_ (2009), long métrage où le rôle-titre est tenu par une
jeune Afro-américaine. Depuis 1991, la compagnie organise à Disney World le jour des homosexuels qui, en 1998, a rassemblé 60 000 visiteurs. Dernièrement, elle a même autorisé dans ses parcs
les unions entre des personnes du même sexe26. Aussi les studios comme leur représentant se trouvent-ils au milieu de ce que les Américains appellent la Culture War27, ce qui contrarie le
consensus souhaité par les majors pour une diffusion toujours plus large de leurs productions. Bien que la MPAA bénéficie d’une légitimité et crédibilité historique auprès des autorités
fédérales, son prestige et sa capacité à représenter Hollywood font désormais défaut. UN REPRÉSENTANT CONTESTÉ D’HOLLYWOOD La MPAA est généralement considérée comme le porte-parole de la
filière cinématographique. Classée bien avant la National Association of Broadcasters, le représentant des chaînes audiovisuelles, elle a été qualifiée par le magazine _Fortune _comme « le
lobby le plus influent de l’industrie de l’_entertainment _»28. Bien que d’autres organisations influentes existent dans le secteur, l’action de la MPAA — particulièrement sa lutte contre la
piraterie et les barrières douanières — et son importance historique lui ont conféré une légitimité considérable dans les milieux hollywoodiens29. Toutefois, des brèches sont apparues ces
dernières années dans le consensus favorable à cette association. En fait, avec la mondialisation de leurs activités, les grands studios ont montré un désintérêt pour le bien commun du
cinéma américain. La « dénationalisation » qu’entraînent les transformations globales a ouvert des possibilités de produire à moindre coût hors de Californie30. La convergence des intérêts
qui prévalaient jadis entre les studios et les professionnels du cinéma américain a volé en éclats à cause des restructurations productives que génère la mondialisation. En outre, la plupart
des pays souhaitant attirer des investissements internationaux ont mis en place des politiques d’aide favorables aux investisseurs étrangers et ont formé de la main d’œuvre bon marché31.
Autrement dit, les États ont cherché à encourager la compétitivité de leur économie32. Par conséquent, les délocalisations se sont intensifiées dans les années 2000, représentant entre 2000
et 2006, 23 milliards de dollars33. Tant dans les séries télévisées que dans le cinéma, un nombre grandissant d’œuvres est réalisé à l’étranger. Les professionnels californiens ont cherché à
se mobiliser en faveur d’une taxe spécifique sur les entreprises investissant hors d’Amérique. Ainsi une pétition a-t-elle été remise au Secrétaire au Commerce par le Comité Action Film and
Television Made in the USA et la Screen Actors Guild en faveur d’un droit de douane imposé aux contenus produits au Canada. Cependant, une large opposition s’est formée à l’initiative de la
MPAA et des Producers and Directors Guilds of America34. Ces événements ont mis en lumière des divergences dans le secteur hollywoodien. Autant dire que le centre du cinéma-monde est
également affecté par la mondialisation. La restructuration des activités productives oblige par conséquent la MPAA à reconsidérer ses relations avec les professionnels du cinéma. Bien que
la baisse du dollar et la crise aient ces dernières années contribué à rendre les États-Unis plus attractifs du fait de la baisse des coûts de production et de l’aubaine que représente la
production à l’international, les délocalisations des productions se poursuivent. Cette transnationalisation productive correspond à un mouvement de fond que des effets conjoncturels ne
peuvent masquer. À présent, ce qui est bon pour les majors n’est plus toujours bon pour la filière. Outre les tensions à l’égard du reste du secteur hollywoodien, la MPAA est traversée par
des rivalités et des fractures internes qui la fragilisent. Alors que naguère le jeu de l’expansion nationale et internationale faisait des conquêtes de chacun des membres un jeu à somme
positive pour Hollywood, les majors intégrées au sein de groupes monopolistiques et mondiaux se livrent une compétition et une course à l’expansion où les acquisitions de l’une se déroulent
au détriment de l’autre. Par exemple, la compagnie Disney a essayé d’empêcher la fusion de Time-Warner et d’AOL bien qu’elle-même soit devenue un géant des médias avec le rachat d’ABC en
199535. L’étendue des fusions-acquisitions a menéeacute; à la formation d’entités qui se concurrencent non seulement dans la filière cinéma mais aussi dans les domaines plus larges de
l’audiovisuel, du multimédia et des télécommunications, ce qui contribue à accroître les enjeux de certaines décisions prises au sein des studios. En effet, ils appartiennent à des
conglomérats qui détiennent également les entreprises-fournisseurs du câble et du satellite comme DirecTV ou Comcast grâce auxquels les chaînes de télévision sont diffusées36. Alors que les
conflits de pouvoir restent souvent dissimulés, ils apparaissent au grand jour lors d’évolutions de marchés et de créations de nouveaux débouchés. À titre illustratif, l’essor des
technologies de haute définition a provoqué une opposition durable sur le type de support DVD à adopter. Alors que la Columbia, la MGM, la 20th Century Fox et Disney ont soutenu le modèle
Blu-ray lancé par Sony — firme qui détient les deux premiers studios qui viennent d’être cités — Universal, Paramount et Warner ont opté pour le HD DVD développé par Toshiba. Bien que chaque
partie évoque des raisons technologiques pour justifier leur choix, cette confrontation de normes reste dominée par des rivalités de groupes qui souhaitent s’imposer sur le marché de la
haute définition37. Concernant Internet, des tensions sont aussi apparues. Par exemple, Viacom a porté plainte contre le site Youtube et a demandé 1 milliard de dollars de dommages et
intérêts pour diffusion illégale de contenus38. La MPAA occupe une fonction essentielle dans la prospérité de la filière hollywoodienne. En effet, elle accompagne son développement car elle
s’assure la bienveillance de Washington et la diffusion du cinéma. Alors que la fragmentation de la filière et la segmentation des publics ont rendu l’application du code de production
obsolète, elle a mis en place le système des ratings qui apaise les critiques et oriente les publics à travers la profusion des sorties cinématographiques. Toutefois, les recompositions de
la mondialisation à l’œuvre dans la filière cinématographique et la diversité de la société américaine dressent des obstacles contre la légitimité et l’activité de la MPAA. Elles créent des
tensions à l’intérieur même du milieu tandis que les productions américaines sont la cible de critiques croisées venant tant des conservateurs que des libéraux. Par conséquent, cette
organisation héritée de l’ère classique d’Hollywood a su s’imposer au plan national comme une institution nécessaire bien qu’elle ait perdu la fonction essentielle de sa création. -- Crédits
photo : - Image principale, capture d'écran du site de la MPAA * 1Douglas Gomery, The Hollywood Studio System : a History, Londres, British Film Institute, 2005 ; Janet Wasko, How
Hollywood Works, Londres, Sage, 2003. * 2Citation mentionnée par Douglas Gomery. Cf., Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 65. * 3Olivier Caïra, « Hollywood face à la censure.
Discipline industrielle et innovation cinématographique 1915-2004 », Paris, CNRS Editions, 2005 ; Thomas Schatz (Ed.). « Hollywood : Social Dimensions : Technology, Regulation and the
Audience », Piscataway (NJ), Rutgers, 2004. Le production Code est également appelé Hays Code du nom du premier chef de la MPAA qui a initié sa mise en place. * 4Jean-Loup Bourget,
Hollywood. La norme et la marge, Paris, Armand Colin, 2005, p. 123 sq. * 5Pour davantage d’informations sur cette affaire, Stephen Vaughn, « Morality and Entertainment : The Origins of the
Motion Picture Production Code », The Journal of American History, June 1990, 77 (1), pp. 39-65. * 6Douglas Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 67. * 7Le rédacteur de Motion
Picture Herald, Martin Quigley, et le Père Jésuite Daniel A. Lord. * 8Jacqueline Nacache, Hollywood, l’Ellipse et l’infilmé, Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 221-223. * 9Cf., Lea Jacobs, «
Industry Self-Regulation and the Problem of Textual Determination », in : Matthew Bernstein (Ed.), Controlling Hollywood. Censorship and Regulation in the Studio Era, London, The Athlone
Press, 2000, pp. 87-101. * 10Gomery, The Hollywood Studio System, op. cit., p. 181 ; Ruth Vasey, « Beyond Sex and Violence : ‘Industry Policy’ and the Regulation of Hollywood Movies,
1922-1939 », Bernstein (Ed.), Controlling Hollywood, op. cit., pp. 102-129. * 11Cf., Justin Wyatt, « The Stigma of X : Adult Cinema and the Institution of the MPAA Ratings System », in :
Bernstein, Controlling Hollywood, op. cit., pp. 238-264. * 12Stephen Prince (Ed.), Screening Violence, Piscataway (NJ), Rutgers, 2000. * 13La très sérieuse Harvard School for Public Health a
sorti une analyse concluant à la baisse des exigences dans le système des ratings. Pour plus d’informations sur cette étude, cf., Roger Chapman (Ed.), Culture Wars: An Encyclopedia of
Issues, Viewpoints and Voices, vol. 1, Armonk, M. E. Sharpe, 2010, pp. 370-371. * 14Joan Graves, « MPAA Ratings Chief Defends Movie Ratings », 2 Feb. 2011, Hollywood Reporter, disponible sur
le site hollywoodreporter.com. * 15Charles E. Lindblom, Policy-Making Process, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1980, p. 71 sq. * 16Bien que le budget de la MPAA ait été abaissé de 29
millions de dollars depuis 2007, il reste en 2010 de 64 millions dont 1,7 million est consacré au lobbying stricto sensu auprès du gouvernement américain. Cf., Jim Puzzanghera, « Christopher
Dodd Brings Hollywood Glitz Back to Washington », Los Angeles Times, May 10 2011. * 17Cf., Alexandre Bohas, « The MPA or the Global Diplomacy of Hollywood Majors », Inaglobal, 17 juin 2011.
* 18Pour davantage d’information, cf. le site de l'IIPA. * 19Jill Goldsmith, Pamela McClintock, « H'wood Bets Its Schmooze Can’t Lose », Variety, 380 (12), 6 Nov. 2000, p. 1. *
20Broadcasting & Cable, 20 Dec. 2004, p. 23; Film Journal International, August 2004 ; Le Monde, 4 Mai 2007, p. 27. * 21Puzzanghera, « Christopher Dodd Brings », op. cit. * 22Richard
Maltby, « The King of King and the Czar of All the Rushes: The Propriety of the Christ Story », in: Controlling Hollywood, op. cit., pp. 60-86. * 23Au premier rang de ces événements figure
la remise des Oscar par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences qui célèbre le cinéma à travers les récompenses des films de l’année. * 24Erwin Panofsky, « Style and Medium in the
Motion Pictures, in: Irvin Lavin (Ed.), Three Essays on Style, New York, MIT Press, 1997, pp. 91-128. * 25Anthony Sprauve, « Out of the Closet », in : 62nd Anniversary Issue, Hollywood
Reporter, 1992, p. 36 ; Steve Chagollan, « Attitude Adjustment », Hollywood Reporter 64th Anniversary Issue, 1994, p. 22. * 26Frank Ahrens, « Disney’s Theme Weddings Come True for Gay
Couples », Washington Post, 7 April 2007, p. A1. Pour plus d’information sur le cas de Disney, Cf., Alexandre Bohas, Disney. Un capitalisme mondial du rêve, Paris, L’Harmattan, 2010. *
27Cf., Chapman, Culture Wars, op. cit. ; James D. Hunter, Culture Wars : The Struggle to Define America, New York, Basic Books, 1991. * 28 * 29Variety, 21 March 2004. * 30Siski Sassen, «
Globalization or Denationalization », Review of International Political Economy, 2003, 10 (1), p. 22. * 31Center for Entertainment Industry Data and Research, The Global Success of
Production Tax Incentives and the Migration of Feature Film Production From the U.S. to the World, 2006, Year 2005 Production Report. * 32Cerny Philip, « Restructuring the Political Arena:
Globalization and the Paradoxes of the Competition State », in : Randall Germain (Ed.), Globalization and its Critics, Perspectives from Political Economy. Basingstoke, Macmillan, 2000, pp.
117-138. * 33Hollywood Reporter, 1-7 August 2006, p. 3 (62) ; Variety, 31 July 2006. * 34Hollywood Reporter, 12 Dec. 2001, p. 4. * 35Variety, 31 July 2000, p. 6. * 36Variety, 15 May 2000, p.
15; Variety, 13 March 2000, p. 35. * 37Variety, 13 December 2004. * 38Le Monde, 15 mars 2007, p. 18.