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Les guerres ont subi au cours des siècles d’importantes transformations, tant dans la manière de les mener que dans les objectifs qui leur ont été assignés. L’affrontement armé, qu’il oppose
des armées régulières ou des combattants irréguliers, est dépendant de nombreuses variables : le contexte dans lequel il s’inscrit, des facteurs culturels, capacitaires, organisationnels,
par exemple. Mais les évolutions des sciences et technologies font sans doute partie des variables majeures qui ont le plus profondément impacté les guerres. Le XXe siècle fut celui de
l’avènement de l’informatique et de la naissance de l’internet, qui ont reconfiguré la société mondiale, et les conflits armés. Plusieurs termes et expressions désignent ce que certains
affirment être une révolution dans les affaires militaires : l’informatisation des forces, la guerre en réseau, la cyberguerre, le cyberconflit, la guerre dans le cyberespace ou encore la
cyberdéfense. LA NAISSANCE DE CONCEPTS DANS LA GALAXIE CYBER L’apparition de nouvelles technologies (feu, flèches, acier, arc, fusils, etc.) a toujours marqué profondément la manière de
faire la guerre, la tactique, la stratégie, l’art de la guerre et contribué à faire et défaire les puissances. De même, les technologies ont permis à l’homme de conquérir de nouveaux milieux
(mer, air, espace), dans lesquels il a pu projeter sa puissance militaire, au travers de guerres et d’affrontements armés qui ont dû s’adapter à la fois à ces nouvelles technologies et à
ces nouveaux milieux. Au XXe siècle l’invention de l’informatique a permis de nouveaux modes de communication et de traitement de l’information, données essentielles à l’art de la guerre ;
mais elle a également ouvert la voie à l’apparition d’un nouveau milieu ou domaine, le cyberespace. Les forces armées l’ont progressivement militarisé. Les États, mais aussi des acteurs non
étatiques, ont appris à l’utiliser, se le sont approprié, pour en faire un nouvel espace d’affrontement. > Les États, mais aussi des acteurs non étatiques, se sont > approprié le
cyberespace, pour en faire un nouvel espace > d’affrontement Dès les années 1980, mais essentiellement à compter de 1990, les nouvelles technologies de l’information et de la
communication sont placées au cœur des réflexions relatives à l’impact des technologies sur l’art de la guerre. On parle alors de révolution dans les affaires militaires (RAM) et de
transformation. Les États-Unis sont alors leaders dans la réflexion stratégique, tactique, conceptuelle et doctrinale. Ils s’interrogent sur la manière dont ces nouvelles technologies,
couplant informatique et réseaux de télécommunication, vont radicalement changer la face des armées et de la guerre au XXIe siècle. Des travaux, américains toujours, pointent cependant déjà
du doigt des conséquences majeures de la mise en réseau du monde : tout ne se passe pas dans les forces armées régulières, car ces technologies confèrent de nouvelles capacités et de
nouveaux pouvoirs d’action aux acteurs non étatiques, ou à des acteurs dits asymétriques. Avec l’informatique et les réseaux qui se déploient sur toute la surface de la planète, les forces
étatiques ne peuvent plus circonscrire les conflits à des luttes symétriques opposant frontalement des armées régulières. Il faut se préparer à de nouveaux défis, à voir apparaître de
nouveaux adversaires et ennemis, de nouvelles formes d’affrontement, de luttes pour le pouvoir, la puissance, et de nouvelles formes de tentative de déstabilisation des puissances
traditionnelles. Telles sont les idées principales que développent au début des années 1990 des auteurs comme John Arquilla et David Ronfeldt(1) , en proposant la notion de _netwar_,
désignant les nouvelles formes de combat et de résistance des acteurs non étatiques et asymétriques. Sous d’autres horizons, les stratèges et experts en affaires de défense investissent
aussi la question : en Chine, en Russie, dans les pays occidentaux… Mais c’est principalement au cours de la décennie 2000 à 2010 que se construit le discours sur la cyberguerre et sur
l’émergence d’un nouvel environnement du combat, nommé cyberespace. Progressivement, un glissement s’est effectué du primat accordé à l’information autour de la notion de « guerre de
l’information », à un focus sur les notions de cyberdéfense, cyberconflit, voire cyberguerre. Les déclinaisons des notions et concepts se multiplient au sein de toutes les forces (terre,
air, mer) et des états-majors. La production américaine en la matière est particulièrement abondante. Le cyberespace est défini comme un domaine très large, en expansion permanente, fait à
la fois des infrastructures matérielles (que sont les ordinateurs, calculateurs, satellites, routeurs, câbles, objets connectés, émetteurs/récepteurs…), de l’ensemble des applications
logicielles (on parle aussi de « couche applicative ») et, enfin, des contenus, des données, de l’information qui circulent dans cet espace, sont produits, collectés, stockés, traités,
analysés pour produire, à un dernier niveau, du savoir, de la connaissance, du sens (on parle alors de « couche psycho-cognitive »). Lorsque les stratèges imaginent l’exploitation du
cyberespace pour les conflits, les trois niveaux sont pris en considération (il est alors possible d’envisager des opérations sur la dimension matérielle, qui produiront des effets sur les
niveaux supérieurs ; mais il est aussi possible d’imaginer des opérations sur la couche applicative, celle où les hackers interviennent ; ou encore sur la couche des données et de
l’information, qui est à la fois celle des hackers et de la guerre de l’information). Le cyberconflit (ou cyberguerre) est la dimension cybernétique des conflits infra et interétatiques. Il
est tout ce qui relève dans le conflit de la dimension « cyberespace ». VERS LA MILITARISATION DU CYBERESPACE La militarisation ou l’utilisation « guerrière » du cyberespace repose sur
plusieurs hypothèses, croyances ou postulats. Énumérons-en ici quelques-uns. - Le cyberespace est planétaire et ne connaît pas de frontières. Cette affirmation est, bien entendu, discutable
: les techniques déployées ne sont pas partout identiques, ne permettent pas la même qualité d’accès au cyberespace, nombre de régions dans le monde ne sont encore pas desservies par
internet. D’autre part, à ces contraintes techniques, s’ajoutent les restrictions apportées par des politiques de régulation, de contrôle, de surveillance, voire de simples considérations
culturelles, linguistiques, qui créent artificiellement ou naturellement, des « espaces » à l’intérieur de ce cyberespace. - L’agresseur a toujours l’avantage (effet de surprise) sur la
défense. - En raison du niveau de dépendance très étroit qu’entretiennent les sociétés (toutes leurs composantes, y compris donc celles de la défense), on peut envisager de les déstabiliser
en menant des cyberopérations agressives. - Des cyberattaques ou actions dans le cyberespace peuvent se substituer à des guerres conventionnelles. À titre d’exemple, les cyberattaques menées
par les États-Unis contre les centrifugeuses iraniennes en 2012, au moyen du _malware_ Stuxnet, paralysant le programme nucléaire, se sont-elles efficacement substituées à des attaques
cinétiques (non envisageables alors) contre ces installations ? Les cyberattaques peuvent être considérées comme des moyens de pression à l’encontre des États (on parlera alors de diplomatie
coercitive). - Les guerres conventionnelles, recourant à des armes cinétiques et létales, seraient appelées à laisser place à de nouvelles formes d’affrontement, privilégiant des guerres
éclair (que le cyberespace pourrait autoriser, en paralysant, par exemple, un adversaire avant même l’engagement militaire), des combats moins létaux tendant vers le zéro mort grâce à des
armes de précision et à des formes de violence nouvelles, dans le monde « virtuel » des réseaux (où la guerre des « hackers » se substituerait à celle des armes conventionnelles). - La
maîtrise des informations, des données, des réseaux est nécessaire à la supériorité militaire et assure la victoire. Elle est en tous cas indispensable afin d’assurer la liberté d’action des
forces. Ce ne sont là que quelques-unes des idées qui ont alimenté les réflexions des deux dernières décennies. Le parcours des idées dont on devrait, pour être plus précis, retracer la
genèse jusqu’à l’apparition des premiers calculateurs, voire des réseaux de télégraphie dont les réseaux modernes sont les héritiers(2) , s’est accompagné d’un ensemble de réorganisations au
sein des forces armées. La plus importante transformation fut, sans nul doute, la création en 2010 aux États-Unis du Cyber Commandement, ou commandement dédié aux opérations dans le
cyberespace, dont le chef est également celui de la NSA (National Security Agency). Cette création marque la reconnaissance officielle du cyberespace comme domaine à part entière
d’affrontement, et implique la création de forces dédiées à cet environnement, la définition de stratégies et tactiques propres, l’allocation de moyens particuliers, matériels, humains,
financiers, la création d’un « cyber-arsenal », de « cyber-armes ». D’autres États se sont inspirés depuis de ce modèle. Du fait de la mise en réseau et de l’informatisation accélérée des
armes et systèmes d’armes, des armées mais aussi des sociétés, les affrontements intègrent aujourd’hui, dans des proportions certes très variables, une composante ou dimension « cyber ».
L’accès élargi au cyberespace permet également l’implication d’un large spectre d’acteurs. Que les conflits soient infra ou interétatiques, peuvent intervenir, par le biais du cyberespace,
des acteurs asymétriques (insurgés, terroristes par exemple), voire citoyens et entreprises, chacun s’impliquant en fonction de ses propres capacités, compétences, croyances, idéologies,
pour des résultats, des impacts inégaux d’une catégorie à l’autre. Aujourd’hui, des outils logiciels « clefs en main » sont fournis aux apprentis hackers qui souhaitent lancer des
cyberattaques contre des adversaires ou ennemis ; les citoyens peuvent se mobiliser pour influencer, manipuler, orienter le cours de l’information, en agissant sur les médias sociaux ; les
opinions publiques peuvent être manipulées sur les médias sociaux ; des failles de sécurité sont exploitées pour percer les secrets des États, de leurs gouvernements, de leurs armées ; etc.
UN ESPACE EN PERMANENTE ÉVOLUTION > Les progrès technologiques n’ont pas encore changé le visage des > guerres Aujourd’hui, les conflits armés conservent leur aspect ancestral, à
savoir celui d’affrontements létaux, d’une extrême violence, d’autant plus meurtriers que les populations civiles désarmées sont prises au cœur des combats, voire sont la cible même des
combats. La guerre en Syrie en est l’exemple. Les progrès technologiques n’ont pas encore changé le visage de ces guerres. Elles n’ont pas encore totalement changé non plus les causes, les
objectifs des guerres ; luttes idéologiques, de religion, pour des territoires (comme, par exemple, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, autour du Nagorny-Karabakh, est de ces
conflits qui, périodiquement, se manifestent en face à face entre les armées, chacun de part et d’autre d’une ligne de front), pour des ressources. Mais ces conflits, bien que demeurant
conventionnels dans leurs formes et enjeux, ont intégré la dimension cybernétique. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a mobilisé des moyens, de part et d’autre, visant à maîtriser la
propagande sur les médias sociaux ; la Russie a également eu recours à des attaques par _malware_. Ces mêmes médias sociaux se sont trouvés au cœur de la guerre en Lybie, mobilisant des
cyberactivistes et hacktivistes de diverses nationalités. Les forces armées impliquées en Syrie fonctionnent à l’aide de gigantesques systèmes de communication, échanges de flux de données,
de renseignement. > La dimension cybernétique est omniprésente dans les conflits > modernes mais elle n’est pas un substitut aux moyens de combat > létaux La dimension cybernétique
est sans nul doute omniprésente dans les conflits modernes. Mais elle n’est pas un substitut aux moyens et formes de combat cinétiques et létaux. Elle en est un support ou un complément. Les
évolutions de la science et de la technologie appellent de nouvelles transformations : l’introduction des objets connectés va élargir la dimension du cyberespace, permettant de produire
toujours plus de données sur l’ennemi et sur soi-même ; les villes intelligentes vont constituer de nouveaux environnements ; il est déjà question de la robotisation du champ de bataille,
avec des machines autonomes dans leurs décisions, etc. Autant de technologies susceptibles de transformer encore les conditions des affrontements armés. Les idées mêmes de cyberconflit, de
cyberespace, de cyberstratégie, de cyberdéfense, n’existaient pas il y a vingt ans de cela, rien ne permet donc de présager de l’avenir. Le cyber est encore appelé à subir de profondes
évolutions, à la fois technologiques et dans la manière de l’appréhender (les États étant de plus en plus nombreux à se doter de capacités de cyberdéfense, notamment agressives, les rapports
de force en seront nécessairement transformés). On peut aussi émettre l’hypothèse que d’autres technologies, ou combinaisons de technologies, viendront remettre en question tout l’édifice
actuellement construit autour des capacités réelles et supposées du cyberespace en matière de pouvoir et de puissance. -- À LIRE ÉGALEMENT DANS LE DOSSIER INTERNET, ÇA SERT, D’ABORD, À FAIRE
LA GUERRE -- Ina. Illustration Alice Durand Crédit photo - _MOD Cyber Defence_, Defence Images, Flickr