Journalistes : un parcours professionnel de plus en plus chaotique | la revue des médias

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Reconstituer le parcours des diplômés d’écoles de journalisme, et dresser un état des lieux de leur insertion professionnelle. Telle est l’ambition d’un rapport de recherche réalisé par le


CARISM à la demande de la CPNEF et de l’Afdas.


La dégradation du marché de l’emploi dans l’univers des médias n’a plus rien de secret. Titres de presse exsangues financièrement, ou bien rachetés par des personnalités ou des grands


groupes soucieux de faire des économies, modèles économiques difficiles à trouver sur Internet…


Pour autant, savoir que le phénomène existe ne permet pas de l’appréhender concrètement, ni d’en mesurer l’ampleur ou d’en connaître l’évolution. C’est dans ce but que les Observatoires des


métiers de la presse et de l’audiovisuel(1), en partenariat avec la Commission paritaire nationale pour l’emploi des journalistes (CPNEJ), ont lancé une étude sur l’insertion professionnelle


et le parcours des journalistes. Celle-ci a été confiée au Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaires sur les médias (CARISM), de Paris-II. Elle s’appuie à la fois sur des données


provenant de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), qui attribue la carte de presse, et sur des questionnaires et entretiens auprès des diplômés


d’écoles de journalisme.


Contrairement à une idée reçue, les journalistes sont majoritairement issus des régions ou de l’étranger, et non pas de région parisienne.


L’étude s’intéresse à trois cohortes constituées de journalistes qui ont obtenu leur carte de presse (les nouveaux titulaires de la carte de presse, ou NTCP) en 1998, 2008 et 2013, soit 1


410 personnes(2). La carte de presse permet aux journalistes de justifier leur activité professionnelle. Pour une première obtention, il faut que le journalisme soit l’activité principale et


régulière depuis au moins trois mois (un an pour un renouvellement), que 50 % au moins des ressources proviennent de cette activité et qu’elle se fasse dans une entreprise de médias. Cette


vaste étude permet d’observer l’évolution du parcours des journalistes, aussi bien dans leur formation que leur insertion professionnelle, de mesurer la précarisation du métier, d’identifier


les secteurs qui recrutent le plus et selon quelles conditions, d’observer les carrières de journalistes sur le long terme ou encore d’évaluer les bienfaits des formations et de la carte de


presse.


En outre, on observe que la part des diplômés en journalisme passés au préalable par un Institut d’études politiques (IEP) a augmenté en 15 ans, passant de 7 % en 1998 à 11 % en 2013. Mais


pour chaque cohorte, parmi les journalistes non-titulaires d’un diplôme de journaliste, moins de 5 % sont passé par un IEP.


Les diplômés d’écoles reconnues interrogés sont 64 % à considérer que les compétences acquises durant leur apprentissage sont en forte adéquation avec leur métier, qu’ils exercent dans le


journalisme ou non. Ils ne sont que 14 % à voir une faible adéquation, et 22 % ont un jugement mitigé. Ce dont les diplômés disent manquer le plus à la sortie de l’école, ce sont « les


ficelles de l’employabilité ». Ces derniers regrettent le fait qu’on leur apprenne à présenter des journaux télévisés ou à écrire des formats très spécifiques comme des portraits... autant


de tâches qu’ils ne se verront pas confier dès leur entrée dans le monde professionnel. En revanche, ils sont nombreux à ne pas savoir comment démarcher les rédactions pour proposer des


piges, qui contacter au sein des rédactions et comment rédiger des mails d’approches, comment gérer les différentes commandes de sujets, une fois parvenus à un statut de pigiste plurimédias.


Les formations reconnues se distinguent sur le plan de l’insertion professionnelle. 28 % des répondants au questionnaire ont trouvé leur premier emploi via le réseau de leur école (via les


intervenants), et 9 % grâce aux anciens élèves. Ils mettent aussi en avant le réseau de leur école pour ce qui est de trouver des contacts ou des informations.


La demande croissante d’étudiants n’ayant pas réussi les concours très sélectifs des écoles reconnues a entraîné la prolifération d’écoles privées. Celles-ci ne bénéficient pas de la


reconnaissance de la profession et sont pour la plupart accessibles au niveau bac et non bac +3, mais également rarement considérées comme étant à la hauteur de leur coût par les diplômés


qui en sortent. D’autres choisissent de s’orienter vers des cursus universitaires non reconnus par la profession, des licences professionnelles ou des masters, qui ont l’avantage de


présenter des coûts d’inscription bien plus faibles. En outre, ces cursus pratiquent une sélection plus pragmatique, pouvant parfois infléchir leurs critères de choix, au bénéfice d’un


postulant apte à décrocher un contrat de professionnalisation bénéfique pour l’image et le budget de la formation. Une bonne façon aussi pour les étudiants d’associer connaissances


théoriques et pratiques professionnelles, dans un contexte où leur réussite scolaire ne suffit pas à leur garantir de trouver un emploi.


Lorsqu’ils obtiennent leur carte de presse, les diplômés en école de journalisme comptent plus d’expériences professionnelles que les autres (4 contre 3 en moyenne). D’une manière générale,


les diplômés effectuent plus de séquences professionnelles pré-carte, mais pour des durées plus courtes. C’est ici un symptôme de l’augmentation de l’offre de formations en journalisme, qui


induit une forte croissance du statut de stagiaire. Moins de la moitié des NTCP diplômés avaient été stagiaires avant de demander leur carte de presse en 1998 : ils étaient 66 % en 2013.


Naturellement, ils privilégient très largement des expériences professionnelles dans le journalisme, notamment car les candidats à l’entrée des écoles reconnues ont intégré la nécessité de


prouver leur détermination, plus encore que leur goût pour ce métier.


Trois ans après l’obtention de la carte de presse, le CDI est loin d’être acquis. La part des CDI chez les diplômés en journalisme est ainsi tombée de 40 % en 1998 à 23 % en 2013, alors que


la part des CDD et des contrats de professionnalisation a grimpé et que le chômage a doublé. Ceux qui ne sont pas diplômés en journalisme s’en sortent mieux : près de 48 % de CDI après trois


ans en 2013 (contre 56 % pour la cohorte 1998). Si le nombre de CDD est aussi beaucoup plus important au fil du temps, le taux de chômage n’a pas connu la même croissance que chez les


diplômés alors qu’il était au même niveau en 1998. Cela s’explique par le fait que les NTCP non-diplômés en journalisme sont en moyenne plus âgés, ont donc travaillé depuis plus longtemps et


sont aussi plus nombreux à déjà être en CDI avant d’obtenir leur carte de presse.


Cette précarisation entraîne la création d'une « zone grise où se mêlent des profils n’ayant pas trouvé un emploi correspondant à leurs attentes professionnelles.


À l’échelle des carrières complètes(3), la part des CDI est plus satisfaisante : sur la cohorte 2008, 43 % des néo-journalistes diplômés en journalisme étaient en contrat à durée


indéterminée, et 53 % pour les autres(4). Bien que la comparaison soit biaisée car les NTCP de 1998 étaient sur le marché depuis 18 ans et ceux de 2008 depuis seulement 8 ans, on distingue


néanmoins ici aussi une dégradation lorsque l’on compare à durée égales, à savoir où en était la cohorte de 1998 en 2006.


Finalement, cette précarisation entraîne la création de ce que Samuel Bouron, auteur du questionnaire, appelle une « zone grise ». D’un côté, environ la moitié des diplômés d’écoles


reconnues se décrit comme journaliste, est titulaire de la carte de presse et n’exerce que ce métier, et de l’autre, une minorité ne se définit pas ainsi et n’exerce plus le journalisme. Et


entre ces deux situations, un tiers des diplômés compose une « zone grise » où se mêlent des profils n’ayant pas trouvé un emploi correspondant à leurs attentes professionnelles, travaillant


dans des structures non-reconnues comme des entreprises de presse, ou étant obligés d’exercer d’autres activités pour subvenir à leurs besoins, quitte à ne pas être éligibles à la carte de


presse. Cette zone grise grandit au fil des cohortes. Cela s’explique en partie par le fait qu’avec le temps, une partie des diplômés des promotions 1997 et 2007 ont fini par se stabiliser


professionnellement, et aussi parce que la promotion 2012 comporte une plus forte proportion de diplômés persévérant à trouver un emploi satisfaisant, bien que leur situation actuelle soit


en décalage avec leur vision du journalisme.


Le fait que la presse soit le support comportant le plus de NTCP à chaque moment de leur carrière, y compris lorsqu’on fait le bilan après 18 et 8 ans, montre qu’elle demeure un secteur avec


des perspectives d’emplois, surtout pour les non-diplômés en journalisme. Toutefois, si la tendance observée se poursuit, la presse finira par être dépassée par la télévision (chez les


diplômés) et le web (chez les diplômés et non-diplômés). Une étude similaire sur la cohorte des NTCP en 2021 permettra de voir quelle sera alors la place de la presse, aussi bien pour


comparer les carrières de la cohorte 2013 sur une même durée, que pour voir les choix des NTCP dans leur parcours précédent l’obtention de la carte de presse et leur insertion


professionnelle.


La carte de presse est souvent perçue comme un symbole du journalisme, voire comme la seule reconnaissance du statut de journaliste. Pourtant, elle n’a rien d’obligatoire pour prétendre à


exercer le métier de journalisme. Certes, la Convention collective nationale des journalistes, dans son article 6, établit qu’ « aucune entreprise visée par la présente convention ne pourra


employer pendant plus de trois mois des journalistes professionnels et assimilés qui ne seraient pas titulaires de la carte professionnelle de l'année en cours ou pour lesquels cette carte


n'aurait pas été demandée ». Cependant, l’étude des données de la CCIJP montre bien que les rédactions sont plutôt enclines à recourir à des journalistes en contrat précaire, et y compris


avant qu’ils ne demandent leur carte (la majorité des expériences professionnelles pré-carte pour toutes les cohortes était du journalisme). En outre, ces statuts ne permettent que


difficilement de demander la carte ou de la conserver, car il faut pour cela que les journalistes se limitent aux revenus issus de leur seule activité journalistique, rendus incertains par


leur situation précaire. La règlementation se confronte ici à la réalité : les rédactions font le choix d’employer des journalistes aux conditions les plus avantageuses sur le plan


financier, et ne s’attardent pas sur la question de la carte de presse. Pour preuve supplémentaire, près d’un tiers des NTCP qui sortent des fichiers de la CCIJP, qu’ils soient ou non


diplômés en journalisme, continuent à exercer ce métier. Seuls 14 % des diplômés et 23 % des non-diplômés sortent de l’univers des médias en même temps qu’ils sortent des fichiers de la


CCIJP.


28 % des répondants issus des formations prestigieuses sur l’ensemble des promotions étudiées ne sont pas titulaires de la carte de presse. Pour une petite partie d’entre eux, cela est dû à


l’insuffisance de leurs revenus issus d’une activité journalistique, qui doivent dépasser 50 % du total de leurs ressources. Près de la moitié n’exerce pas une activité jugée en lien avec le


journalisme, parce que leur qualification n’est pas reconnue, ce qui paraît étonnant pour des diplômés d’écoles de journalisme, ou parce que leur employeur n’est pas éligible en tant


qu’entreprise de médias. Mais surtout, 38 % n’ont même jamais fait la demande de la carte de presse : un quart parce qu’ils ne s’estiment plus journalistes et un sur cinq parce qu’ils


partent à l’étranger.


L’autre moitié évoque l’aspect fiscal, certains ne pensant pas tirer quelque avantage de la carte de presse, et d’autres ne voulant justement ne pas bénéficier d’une niche fiscale. Ceci


étant, parmi les diplômés titulaires de la carte, 80 % estiment qu’elle est nécessaire à leur activité. Ils sont presque autant à la voir comme un symbole de leur appartenance au métier de


journaliste (le questionnaire offrait ici la possibilité de choisir plusieurs réponses à la question « à quoi sert la carte de presse ? »). Les titulaires de la carte n’en oublient pas pour


autant l’accès gratuit aux musées et les avantages fiscaux. Comme pour ceux qui refusent de demander la carte de pour ne pas bénéficier d’avantages, il faut préciser que la carte de presse


en elle-même n’ouvre aucun droit à l’abattage fiscal de 7 650 euros prévu par le Code général des impôts : seul l’exercice de la profession de journaliste compte.


Entretien avec Claude Castelluccia, directeur de recherche à l'Inria et responsable de l'équipe Privatics, et Abdelberi Chaabane. 


Depuis 2000, la présence médiatique russe à l’international s’est considérablement étoffée. Des médias comme Sputnik et RT inquiètent par leur stratégie d’influence, notamment lors de la


présidentielle française en 2017. Un révélateur des reconfigurations médiatiques contemporaines.


Regarder et commenter en direct, sur Twitch, une de ses anciennes émissions : un usage qui a le vent en poupe chez les streamers. En rejouant l'archive, ces « vidéos de réaction » permettent


aux vidéastes et à leur communauté de mesurer ensemble le chemin parcouru, notamment sur des sujets de société.