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Le sociologue Dominique Cardon plaide pour une meilleure compréhension des enjeux politiques des algorithmes. Nicolas Vanbremeersch Publié le 04 mars 2019 L’actualité, avec l’affaire
Volkswagen, énième bidouillage algorithmique, le remplissage de nos rues de voitures noires grâce à Uber, ou le changement de notre rapport à l’attention, nous rappelle combien nos vies sont
médiées par quelques lignes de code et formules mathématiques. Et combien ces dernières ont un impact on ne peut plus concret sur nos activités de tous les jours, même lorsque nous ne
sommes pas consciemment connectés. Mais comment fonctionnent ces algorithmes ? Qui les conçoit ? Dans quels buts ? Ce sont ces questions que Dominique Cardon, qui vient de publier _A quoi
rêvent les algorithmes, Nos vies à l’heure des big data _(Seuil), souhaite porter sur la place publique. Car plutôt que d’apporter des réponses toutes faites à des questionnements plus
complexes qu’il n’y paraît, le sociologue au Laboratoire des usages d’Orange Labs ambitionne d’ouvrir la discussion et le débat. En d’autres termes, de politiser la question des algorithmes.
Et l’on ne peut que le rejoindre sur ce point. En 2010, déjà, dans _La Démocratie Internet_ (Seuil), il ouvrait la question des algorithmes, cherchant « _les visions du monde _» véhiculées
par leur « _travail souterrain _». Il y a deux ans, dans la revue _Réseaux_, il questionnait «l’esprit du Pagerank », l’algorithme de recherche de Google. Bien que récente, cette « obsession
» de suivre l’imaginaire derrière les programmes a le mérite de ne pas être délaissée aussitôt traitée. Et de pousser chaque fois un peu plus loin la réflexion. ÉCLAIRER Ce qui n’est pas
récent, par contre, c’est le talent de Dominique Cardon à poser des cadres, à faire fonctionner des représentations brillantes de nos usages numériques. En 2008, son article « Le design de
la visibilité : un essai de typologie du web 2.0 » avait marqué les esprits et frappé ceux qui voulaient comprendre la variété des pratiques qui se déployaient dans ce nouvel espace. Il y
proposait un cadre de représentation et d’analyse de nos usages sociaux sur les plateformes du web 2.0. Dominique Cardon est proche de son sujet. Il essaie de poser des cadres d’analyse pour
permettre la réflexion politique. C’est rafraichissant, dans un univers où la curiosité sur ce qui se passe est souvent inversement proportionnelle au discours prophétique. Si l’auteur se
place à une (presque) égale distance des contempteurs de la révolution technologique comme des apôtres de la révolution du Big Data, c’est qu’il leur reproche surtout de condamner ou de
louer sans vraiment chercher à renseigner et comprendre. N’espérez lire dans cet ouvrage ni un pamphlet dénonçant la domination de la machine, ni un livre prophétique de plus expliquant
combien le _Big data_ est une révolution qui va « uberiser » l’ensemble des secteurs de notre économie. Mais plutôt une tentative de typologie des algorithmes, selon le rapport qu’ils
entretiennent à leur sujet. On y découvrira ainsi quatre logiques algorithmiques, qui permettent chacune, à leur manière, de classer, répertorier, mesurer et produire le web. Parmi les
algorithmes, Dominique Cardon distingue en effet ceux qui classent selon la popularité, ceux qui cherchent l’autorité, ceux qui mesurent la réputation, et ceux qui cherchent à produire. Ces
algorithmes entretiennent un rapport différent à leur sujet : à côté, au-dessus, en dedans et au-dessous de ces informations et pratiques qu’ils analysent et influencent ce faisant. >
Dominique Cardon s’intéresse aux algorithmes qui entretiennent un > rapport à nos vies La proposition au cœur du livre de Dominique Cardon est utile. Dominique Cardon ne nous parle pas de
tous les algorithmes : il s’intéresse à ceux, sur le web, qui entretiennent un rapport à nos vies, à nos comportements, notre information, nos lectures ou notre être ensemble. Son
présupposé ou son biais est double : il s’intéresse au web en sociologue. La thèse sous-jacente de cette analyse – et on serait en peine de vraiment la critiquer – est que l’algorithme est
un nouvel adjuvant essentiel de nos relations sociales de plus en plus médiées par le numérique. IMPASSES DIGITALES ? Cette thèse, pour autant, n’est pas démontrée. La tâche est sans doute
impossible : comment expliquer ou caractériser ce que produisent les algorithmes sur nos vies ? Ces programmes ont-ils un pouvoir ? Jusqu’à quel point cette société en réseaux qui se dessine
est-elle le produit de volontés individuelles ou le produit de l’architecture proposée par les algorithmes des réseaux ? Il est certain que l’auteur aborde là une vraie question :
l’accompagnement de l’individualisation de la société avec sa nouvelle expression qui en prend la forme. Il reste qu’aucune démonstration n’en est faite. Le biais web est également troublant
: Dominique Cardon use d’exemples et sujets d’analyse qui correspondent à un monde déclinant, celui du web de la publicité et des moteurs de recherche. On y parle de cookies et de
_retargeting_, là où le big data et le mobile sont en train d’imposer de nouveaux rapports aux données. Google, son moteur de recherche et ses technologies publicitaires sont très cités,
mais le dispositif de tracking de Facebook est étonnamment absent (son algorithme semble difficile à placer dans les grilles d’analyse proposées par l’auteur). On ne sondera pas non plus ni
les programmes ni les imaginaires d’Uber ou les algorithmes de la finance folle. Ces algorithmes, qui semblent entretenir une autre relation avec un objet qui n’est pas nos comportements
sont-ils de même nature que ceux que l’auteur analyse ? Difficile à dire. PRÉDIRE PAR LES TRACES L’ambition et l’intérêt de ce petit livre sont pour autant essentiels. La partie
véritablement intéressante est l’ouverture sur cette quatrième catégorie, celle des algorithmes qui auto-apprennent, qui se nourrissent de traces et qui ont l’ambition de prédire, et non
uniquement d’analyser. C’est là que se loge le génie numérique, et que s’ouvre un champ nouveau. > L’algorithme a un pouvoir et une autonomie C’est là que le _machine learning_ est en
train de créer de nouveaux fonctionnements, où l’algorithme a – enfin ? – un pouvoir et une autonomie. Sans entrer dans les modes de formation de l’intelligence artificielle ni interroger le
futur des algorithmes autonomes, auto-apprenants, il en dessine le fonctionnement et la logique, et peut-être le début d’un imaginaire, parce que ces algorithmes là en sont dotés. Dominique
Cardon ne prend pas position sur le futur pouvoir – effrayant ou pas – de l’intelligence artificielle, tout en concédant que l’idiotie actuelle des programmes est normale, consubstantielle
à leur statut. Une idiotie qui risque fort de ne pas de s’améliorer rapidement. Le livre s’achève comme il commence : sur des questions et des idées. Comme celles de la régulation de ces
algorithmes, de leur limitation ou de la protection de ceux qui en vivent. Dominique Cardon, là encore, est prudent et précis. Il en appelle au « _développement d'une éducation et
d'une culture partagée des algorithmes »_, ce qui semble certes nécessaire. Mais cela sera-t-il suffisant ?