Faire carrière grâce à la téléréalité : oui, mais comment?

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Un quart d’heure de célébrité suivi d’un amer retour à l’anonymat, telle est la carrière prédite aux candidats de téléréalité. Pourtant, en choisissant des stratégies parfois opposées,


certains font carrière. À travers les trajectoires d’anciens candidats, analyse de quatre parcours emblématiques. Nathalie Nadaud-Albertini Publié le 14 mars 2018 Quelles carrières pour les


candidats de téléréalité ? Émissions TV, presse people, placements de produits, interrogation sur la durabilité de ces activités… Souvent la réponse bafouille. Mais une carrière en


téléréalité, c’est avant tout une gestion de scandale. Mais quel scandale ? Tout d’abord, celui originel de Loft Story crée au printemps 2001. Entre voyeurisme, exhibitionnisme,


décloisonnement du public et du privé, règne des pulsions, et destruction du lien, se brosse le tableau des angoisses d’une société en mutation qui craint son propre déclin et voit dans la


téléréalité à la fois le symptôme et l’instrument de sa décadence1. Les candidats les plus connus, comme Loana et Nabilla, font hurler le grand public pour construire un personnage à la


singularité forte, c’est-à-dire comme étant un être hors-normes et reconnu comme tel par la communauté2. Les autres participants, même s’ils ne s’en privent pas jouent la partition du


scandale sur un mode plus discret, construisant des trajectoires professionnelles différentes. QUAND LE PHÉNIX RENAÎT PERPÉTUELLEMENT DE SES CENDRES : LOANA Au début Loana est un infime


élément du phénomène qui fait polémique, une partie du groupe des « lofteurs »3. Elle commence à se distinguer lorsque ses ébats avec un autre candidat, Jean-Edouard, font flamber les


critiques et créent une importante caisse de résonnance autour du couple. Remporter l’émission l’individualise encore davantage et renforce sa starification, entre bain de foule et fans


scandant son prénom. Pendant l’été 2001, son statut de star se confirme à travers la façon dont la presse people la présente, c’est-à-dire conformément au schéma narratif des stars, comme


étant à la fois hors du commun (par « son destin miraculeux ») et ordinaire (« une jeune fille simple, qui aime sa mère et la choie »6. Il se prolonge à travers ses différentes activités :


publication en septembre 2001 de sa biographie, animations TV et chroniques web (L’Été de Loana sur M6 en 2001, Stars intimes sur M6 en 2003, Les Meilleurs Moments de la téléréalité sur TF6


de 2005 à 2007, Les interviews de Loana et Le journal intime de Loana sur Non Stop People depuis avril 2017), chanteuse, mannequin pour Jean-Paul Gautier, styliste exploitant commercialement


son prénom pour une ligne de vêtements et maillots de bain vendue par la chaîne de magasins de vêtements La Halle, participation à diverses émissions (Je suis une célébrité, sortez-moi de


là !, édition VIP d’Intervilles, Les Anges de la téléréalité 2,Les Anges 9 et Fort Boyard) , eau de parfum éponyme en 2007. > Par leur côté hors normes, les stars sont présentées comme


> sujettes à des excès que tout un chacun ne saurait s’autoriser Son récit biographique est ambigu, car, tout en confirmant son statut de star, il la situe sur la ligne de crête propre à


la singularité du hors-normes qui peut être collectivement construite soit comme la marque positive du héros à qui la communauté doit admiration, soit comme le stigmate du monstre, du


coupable ou du fou contre lequel la communauté se constitue par le mépris et le rejet7. Puis, progressivement, de la violence de son père à son addiction à l’alcool et aux médicaments, en


passant par ses tentatives de suicide et son importante prise de poids, ce schéma narratif la tire vers le versant disqualifiant du singulier qui entre également en résonnance à la fois avec


son statut de star et le scandale du Loft. Car, par leur côté hors normes, les stars sont aussi présentées comme sujettes à des excès que tout un chacun ne saurait s’autoriser8. Loana


apparaît alors sous les traits d’un pharmakos moderne, c’est-à-dire un individu marginal et unique expiant la faute collective de _Loft Story_9, 10. À travers le récit de ces déboires, il y


a l’attente que le scandale se résolve avec son retour à l’anonymat dans une déchéance absolue. Cependant, ce dénouement n’a jamais lieu, car telle un phénix moderne, elle renaît


continuellement de ses cendres. Lors de ses diverses renaissances, (la dernière à l’occasion de la sortie le 1er mars 2018 de son livre confession Si dure est la nuit, si tendre est la vie


étant particulièrement spectaculaire par contraste avec sa descente aux enfers), elle incarne l’espoir collectif d’une rédemption gagnée à force de courage face à l’adversité, qui la


délivrerait enfin de la charge symbolique de l’expiation du péché originel, celui de Loft Story. DU SCANDALE À LA SURVALORISATION PERMANENTE : LA STRATÉGIE DE NABILLA Nabilla s’est également


fait connaître du grand public en entrant en résonnance avec le scandale de Loft Story. Après une arrivée discrète sur les écrans (L’Amour est aveugle, Les Anges 4), sa carrière prend son


envol lors des Anges 5 avec la petite phrase « Allô ! Non mais allô quoi ! T’es une fille, t’as pas de shampoing ! C’est comme si je te dis : t’es une fille, t’as pas de cheveux ! ». > 


Nabilla utilise la stratégie de gestion du scandale qui a fait le > succès de nombreux concepts de téléréalité Pourquoi un tel emballement médiatique ? Tout d’abord parce qu’avec son


physique de « bimbo » et sa petite phrase, la jeune femme réactive le scandale du Loft : elle remet sur le devant de la scène la crainte du déclin d’une société où la notoriété ne serait pas


indexée sur le travail et le talent mais sur la glorification de l’apparence et de la bêtise, provoquant rejet, indignation et mépris. Et surtout, parce qu’elle utilise la stratégie de


gestion du scandale qui a fait le succès de nombreux concepts de téléréalité : revendiquer les critiques tout en les désamorçant par l’humour11, 12. Ainsi, remplaçant quelques instants


l’animatrice lors de sa participation à C à vous, elle propose une mise en scène riant des critiques : « Nabilla sur France 5, la chaîne de la connaissance et du savoir, non mais allô quoi !


 ». Autrement dit, elle attise le scandale pour augmenter sa caisse de résonnance tout en amenant à se demander si elle ne joue pas simplement un personnage de belle idiote. Puis, dans sa


propre téléréalité, Allô Nabilla, elle se présente sous un jour plus sympathique avec des séquences en famille. SE CONSTRUIRE CONTRE LA TÉLÉRÉALITÉ : LE CHOIX DU PLUS GRAND NOMBRE Quant aux


autres candidats, ils adoptent différentes stratégies les dissociant du scandale initial. N’ayant pas été nommément au cœur de polémiques fortes dans le Loft, les autres « lofteurs » ont


d’abord été considérés comme des éléments du phénomène Loft Story : on accolait « du Loft » à leur prénom. Puis, ils ont tenté de s’individualiser en détachant leurs activités


professionnelles de l’image sulfureuse du programme. Kenza Braiga a ainsi bâti sa carrière d’animatrice radio et d’auteure en opposition à l’image négative de la téléréalité, alors que


Christophe14 et Julie Mercy ont opté pour un schéma narratif qui les éloigne définitivement de toute aura de scandale : mariés et parents de deux enfants, elle organise des séminaires et des


banquets dans un grand hôtel, il est père au foyer. Les articles à leur sujet valorisent leur choix par opposition à la superficialité associée aux médias en général et à la téléréalité en


particulier. On retrouve ainsi une déclinaison du thème de « la chaumière heureuse » décrite par Roland Barthes à propos du mariage de Miss France 1953 avec son ami d’enfance, électricien à


Palaiseau : renoncer à la gloire éphémère d’une éventuelle carrière de star pour faire le choix « sage et modeste » du « bonheur dans l’anonymat d’un petit confort »15. En renouant avec un


classique des mythes contemporains, ils posent les bases du récit acceptable concernant les candidats de téléréalité : celui de l’éloignement nécessaire, à plus ou moins long terme, d’un


monde factice et malsain pour choisir l’anonymat, la famille et une profession sans liens avec les médias. DEVENIR INFLUENCEUSE : LE PARI DE CAROLINE RECEVEUR Une autre stratégie permet aux


candidats de se construire une carrière dans les médias : dénoncer l’évolution de la téléréalité, après y avoir joué un rôle non négligeable. C’est celle adoptée par Caroline Receveur qui a


débuté dans Secret Story 2, avant de participer à La Maison du Bluff, Les Anges 2, d’animer Poker Mission Caraïbes, d’être l’un des piliers d’Hollywood Girls et de co-animer Le Mag. En 2014,


elle se consacre exclusivement à sa marque de thé, prolongeant ainsi les activités développées juste après Secret Story (rubrique lifestyle sur Star-Attitude et égérie de la marque de


prêt-à-porter Eunue). Depuis, sa carrière se fait sous la bannière «influenceuse», dans la lignée de son blog qui vend des vêtements en ligne, et de ses comptes sur les réseaux. C’est en


effet à ce titre qu’elle participe à Danse Avec les Stars en 2016, noue différents partenariats, comme avec Morgan et Braun, ou prête sa voix pour Le Monde Secret des Emojis. Pour conclure,


les candidats de téléréalité se constituent en marques-personnes spécifiques. Une personne-marque classique est une marque que les consommateurs associent à un individu et non à un produit.


Elle se construit à partir de deux sphères : les compétences professionnelles, et le personnage médiatique16. Avec les candidats de téléréalité, les deux sphères se confondent. La


construction du personnage médiatique est en effet le domaine où tout commence, car les compétences nécessaires sont avant tout d’être les supports de récits médiatiques à forte caisse de


résonnance. Puis, la capacité à faire le buzz doit s’accompagner d’une gestion habile afin de faire fructifier un court moment de gloire en le transformant en carrière professionnelle.


RÉFÉRENCES Roland BARTHES, Mythologies, Éditions du Seuil, 1957. Vincent BASTIEN, Jean-Noël KAPFERER, Luxe Oblige, Paris, Eyrolles, 2017 [2008]. Bernard ECK, « Le pharmakos et le meurtrier 


», in Véronique LIARD (dir.), Histoires de crimes et société, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2011, p.15-29. Eileen FISCHER, Marie-Agnès PARMENTIER, « How Athletes Build their Brand


 », International Journal of Sport Management and Marketing, 11, 2012, pp.106-124 Nathalie HEINICH, La Gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Paris, Les Éditions de


Minuit, 1991. Edgar MORIN, L’Esprit du temps, Paris, Éditions Grasset Fasquelle, 1975. Nathalie NADAUD-ALBERTINI, 12 ans de téléréalité… au-delà des critiques morales, Bry-sur-Marne, Ina


Éditions, 2013. -- Crédit : Illustration Ina - Guillaume Long * 1Nathalie NADAUD-ALBERTINI, 12 ans de téléréalité… au-delà des critiques morales, Ina Éditions, 280 p. * 2Nathalie HEINICH, La


Gloire de Van Gogh. Essai d’anthropologie de l’admiration, Les Éditions de Minuit, 1991, 257 p. * 3Les candidats du Loft. * 4Gabriel SEGRÉ, « Naissance et apogée des vedettes de la


téléréalité. Les Lofteurs dans les pages de Gala», Ethnologie Française, 41, 2011, pp.691-706 * 5briel SEGRÉ, « Naissance et apogée des vedettes de la téléréalité. Les Lofteurs dans les


pages de Gala», Ethnologie Française, 41, 2011, pp.691-706 * 6Gabriel SEGRÉ, op.cit.,p.699 * 7Nathalie HEINICH, op.cit * 8Edgar MORIN, L’Esprit du temps, Éditions Grasset Fasquelle, 1975 *


9Bernard ECK, « Le pharmakos et le meurtrier », in Véronique LIARD (dir.), Histoires de crimes et société, Éditions Universitaires de Dijon, 2011, p.15-29 * 10ernard ECK, « Le pharmakos et


le meurtrier », in Véronique LIARD (dir.), Histoires de crimes et société, Éditions Universitaires de Dijon, 2011, p.15-29 * 11athalie NADAUD-ALBERTINI, >i>op.cit. * 12Nathalie


NADAUD-ALBERTINI, op.cit. * 13Vincent BASTIEN, Jean-Noël KAPFERER, Luxe Oblige, Paris, Eyrolles, 2017 [2008] * 14L’autre gagnant. * 15Roland BARTHES, Mythologies, Éditions du Seuil, 1957,


p.45 * 16Eileen FISCHER, Marie-Agnès PARMENTIER, « How Athletes Build their Brand », International Journal of Sport Management and Marketing, 11, 2012, pp.106-124