Facebook, Instagram : le revirement sur la modération est « d’abord stratégique et économique plutôt qu'idéologique » | la revue des médias

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Le patron de Meta, Mark Zuckerberg, a annoncé le 7 janvier dans une vidéo une série de modifications sur la politique de gestion des contenus jugés problématiques sur Facebook et Instagram,


aux États-Unis.


Le 7 janvier, Mark Zuckerberg, PDG de Meta, publie sur Facebook une vidéo aux allures de mise au point. En cinq minutes, le patron du plus grand réseau social au monde opère un revirement de


la politique du groupe. Et en profite pour s’aligner sur Elon Musk et Donald Trump. Analyse par le chercheur Romain Badouard.


Exit les fact-checkers et finie la modération des contenus par des professionnels aux États-Unis. Haro sur l’Europe et ses régulations. Ce sont là quelques-unes des annonces faites par Mark


Zuckerberg le 7 janvier. En quelques minutes, le patron de Meta indique que les choses vont changer sur Facebook, Instagram et Threads. Une volte-face inattendue ? Pas exactement, et encore


moins un événement isolé. Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Panthéon-Assas et auteur du Désenchantement de l’Internet


(FYP, 2017), analyse les causes (et conséquences) de ces révolutions, politiques pour la plupart.


Quelle a été votre première réaction après avoir visionné la vidéo de Mark Zuckerberg ?


Romain Badouard : Dans un premier temps, j’ai été surpris que ça vienne de Facebook/Meta. Depuis cinq ans, c’est le bon élève en matière de régulation, surtout si on les compare à X et à


Google. Mark Zuckerberg avait lui-même reconnu que Facebook avait trop de pouvoir et que l’entreprise devait être régulée. En Europe, la firme avait cherché à collaborer avec les États, avec


la Commission européenne, pour respecter les nouvelles règles, etc.


Puis, en y réfléchissant, j’ai trouvé tout ça assez logique. Ces géants de la tech s’intéressent surtout aujourd’hui à leurs intérêts financiers plutôt qu’à leur mission sociale. Entre


l’entrée en vigueur du Digital Services Act1 et les débats autour de l’IA Act2 en Europe, on comprend bien que Zuckerberg cherche à se placer dans les petits papiers de Trump pour bénéficier


de son pouvoir d’influence, peut-être aussi échapper ou contourner les législations européennes. Le revirement est d’abord stratégique et économique plutôt qu’idéologique.


Dans cette déclaration, Mark Zuckerberg remet en cause le fact-checking tel qu’il est pratiqué sur Facebook. À quoi fait-il référence ?


Après l’élection de Donald Trump en 2016 et toutes les controverses de la campagne à propos de Facebook (Meta n’existait pas à l’époque), un partenariat a été mis en place avec


l’International Fact Checking Network [voir notre interview de Laurent Bigot en 2017, NDLR]. Dans différents pays, dont la France, des médias étaient financés pour vérifier les informations


qui circulaient sur les réseaux. Lorsque des informations sont signalées comme peu fiables par les utilisateurs, elles sont envoyées à un binôme de journalistes qui les vérifie et leur


attribue une note de fiabilité. En fonction de celle-ci, le contenu aura plus ou moins de visibilité. Ce qui cassait efficacement la viralité des fausses informations. Le dispositif a été


loué à l’époque, des études ont montré qu’il avait été efficace.


Le problème, c’est qu’il a été très critiqué par les mouvements conservateurs américains et aussi français, car il était vu comme un dispositif de « censure woke », car tous les journalistes


auraient été de gauche et progressistes, amoindrissant la portée de tout ce qui aurait été de droite, conservateur. Ce que dit aussi Mark Zuckerberg, c’est qu’il a subi des pressions pour


faire retirer des contenus qui n’arrangeaient pas Joe Biden. Le camp démocrate n’est pas totalement blanc non plus dans cette histoire.


Cette collaboration entre Facebook/Meta et les médias n’a pas toujours été facile.


Le fact-checking n’a jamais été un sujet très simple pour Facebook. Cela a représenté une bonne porte de sortie après la première élection de Donald Trump. Il faut se souvenir des auditions


au Congrès des patrons de la tech, dont Mark Zuckerberg. Ils ont été accusés de détruire la société et ont passé un très mauvais moment. Mais ce dispositif de vérification n’était pas trop


dans l’esprit des communautés web. Devoir faire appel à des journalistes pour vérifier l’information, travailler avec les gouvernements, tout ça donnait un aspect très formel à ce que


devenait Facebook. Ils y allaient parce que c’était dans leur intérêt de le faire, pour continuer à accéder au marché européen et conserver une bonne image face à la défiance du public à


leur encontre. C’était la bonne stratégie à adopter à ce moment-là. Ce que ne voulait surtout pas Zuckerberg, c’était que Facebook arbitre ce qui pouvait être considéré comme une information


fiable ou pas. Cela aurait tué la crédibilité de la plateforme auprès des communautés web. Faire appel à des journalistes était aussi un moyen de déléguer ce pouvoir de décision.


« Revenir en arrière, c’est accepter une brutalisation du débat »


Cela veut-il dire que toutes les actions menées par le passé par Facebook, autour du fact-checking par exemple, tenaient uniquement de la communication ?


Il y avait une forme de communication évidente. Pour autant, les partenariats de Facebook sur le fact-checking, mais aussi l’augmentation des effectifs de modération, ont eu des effets


bénéfiques, en réduisant la circulation des fausses informations. Retirer tout cela, revenir en arrière, c’est accepter une brutalisation du débat, une plus grande circulation de la


désinformation, davantage de cyberharcèlement et de haine. Le choix est clair, et il suit une évolution du public. Les sociétés se droitisent, la sensibilité et la demande des utilisateurs


changent. L’alt-right et l’extrême droite aux États-Unis et en Europe ont choisi de faire de la liberté d’expression leur cheval de bataille, estimant qu’elles seraient lésées par des


grandes plateformes progressistes. L’intérêt des grandes entreprises des technologies est donc de moins modérer pour laisser plus de place à une certaine vision de la liberté d’expression,


sans contrainte, sans limite.


Pendant un certain temps, Facebook assurait avoir besoin des médias pour alimenter en contenus « de qualité » ses utilisatrices et utilisateurs. Cette époque semble totalement révolue.


Déjà à la fin des années 2010, à l’occasion des controverses sur les fake news, Facebook avait décidé de réduire la visibilité des pages médias sur sa plateforme. Mais le discours devient


aujourd’hui très agressif. Musk estime que les journaux, les radios, les sites ne sont plus les vrais médias, que les plateformes comme X ont pris leur place. Le combat se fait très


ouvertement. Il y avait jusqu’ici l’idée que les réseaux sociaux permettraient aux médias d’avoir accès à un public en les faisant venir sur leur site. Cela risque d’être bien moins le cas


dans les années à venir, avec de vrais problèmes économiques à la clé.


Lorsque Mark Zuckerberg évoque un changement des attentes des utilisateurs dans sa vidéo, à quoi fait-il référence ?


De toute évidence, il évoque là le résultat des élections américaines. Dans le monde des médias, de la politique, ou de la recherche, quand on évolue dans un microcosme progressiste et


intellectuel, on a l’impression que la lutte contre les discriminations, pour le respect des droits des personnes et l’égalité des droits sont le cheval de bataille de toute la population,


de toute une génération. À l’échelle d’une société entière, ce n’est pas le cas, en tout cas pour la plupart des gens, cela ne semble pas être une priorité. C’est un enseignement de la


deuxième victoire de Trump. Zuckerberg constate ce développement. Il prend en compte ses tentatives pour plaire aux milieux progressistes alors qu’ils souhaitent le réguler. En toute


logique, il se dit qu’il a tout intérêt aujourd’hui à retourner sa veste, renier un peu les valeurs mises en avant jusque-là. La victoire de Donald Trump représente un intérêt pour sa


plateforme (moins de régulation). Et pour pouvoir en profiter, il doit accepter un tournant conservateur.


Pour plaire à Donald Trump, Mark Zuckerberg aligne son discours sur celui d’Elon Musk.


Complètement, c’est une victoire éclatante pour Elon Musk. Mark Zuckerberg fait référence aux community notes et à X, il revendique de copier ce modèle. Et c’est vraiment inquiétant lorsque


l’on voit ce qu’est devenue la plateforme depuis la prise de contrôle par Musk en octobre 2022, avec une montée de la désinformation et de la violence des débats.


Vous venez d’évoquer les community notes, les notes communautaires, ces petits textes de mise en contexte proposés par les utilisatrices et utilisateurs et qui apparaissent sous certains


posts jugés peu clairs, faux ou trompeurs. Sont-ils vraiment efficaces ?


Le fact-checking collaboratif, car c’est de ça dont il s’agit, marche plutôt bien. Dans toutes les mesures prises par Elon Musk, assez négatives, l’introduction des community notes était


probablement la plus positive. Problème, ces notes peuvent être détournées pour des usages politiques, à des fins de censure ou de trolling. Mais pour les usagers des réseaux sociaux, il est


plus acceptable d’avoir un détournement de ce genre de dispositifs que d’avoir des journalistes fact-checkers qui décident de diminuer la visibilité d’un poste jugé peu fiable.


De nombreux patrons de la Silicon Valley ont manifesté un rapprochement à la ligne de Donald Trump et d’Elon Musk ces derniers temps.


Toutes les compagnies de la Silicon Valley ont toujours été très libérales au niveau économique et ont porté des discours libertaires sur le plan social. Mais à partir du moment où elles


sont devenues parmi les compagnies les plus riches du monde, les enjeux financiers ont très vite pris le pas sur les questions éthiques, politiques et sociales. Ce n’est pas le premier


revirement auquel nous assistons, mais il est spectaculaire.


C’est une question d’image et d’intérêt. À l’époque d’Obama, c’était « cool » de rouler pour le Parti démocrate. On mettait en avant le projet social de ces grandes firmes, leur désir de


porter la connectivité, la liberté d’expression, l’inclusion de tous dans le débat. Cela se vendait bien dans l’espace public. Depuis, le Parti démocrate a tenté de porter des projets de


régulation et de démantèlement des plateformes. Les entreprises se rendent compte que si elles roulent pour le Parti républicain, elles obtiendront ce qui leur est promis : une dérégulation


totale. Moins d’ennuis, plus de bénéfices. La seule chose à faire : « renier » leurs valeurs originelles. Toutes n’iront peut-être pas à fond dans cette direction, mais en tout cas Meta l’a


fait. C’est cynique sur le plan des valeurs, mais la stratégie est claire et forte.


Edit le 13/01/2025 à 10h50 : ajout de la mention de Threads comme service touché par les décisions de Mark Zuckerberg.


Edit le 20/01/2025 à 16h23 : modification, à la demande de Romain Badouard, du passage de l'entretien sur l'effet des politiques de Facebook pour le fact-checking et la modération.


En exploitant les failles du système de signalement d’atteinte au droit d’auteur de Google, des officines spécialisées parviennent à invisibiliser des enquêtes journalistiques, menaçant


ainsi la liberté d’informer.


Mark Zuckerberg, patron de Meta, a annoncé, mardi 7 janvier, d'importants changements dans la politique de modération de Facebook et Instagram. Parmi eux : la fin de leur programme de


vérification des informations aux États-Unis. Dans son livre Fact-checking vs fake news - Vérifier pour informer (Éditions INA, 2019), Laurent Bigot revenait sur l'origine et les modalités


de ces dispositifs. Extraits.


Le 6 janvier 2021, Loïc de La Mornais se trouve sur le Capitole à Washington D.C., au milieu des émeutiers. Pendant plusieurs heures, il donne à voir les événements en direct sur France 2 et


France Info.


Coup de tonnerre dans les médias américains. Cette année, le Washington Post ne soutient aucun candidat à l’élection présidentielle. Le quotidien rompt ainsi une tradition suivie avec


assiduité depuis 1976, avec une exception en 1988.