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Les enjeux économiques de la médiatisation des événements sportifs rendent délicat l’exercice du métier de journaliste et menacent la liberté d’informer. Guillaume Galpin Publié le 06 juin
2016 Cet été, les Bleus, le Tour de France ou encore les Jeux olympiques satureront l’espace médiatique. Les chaînes de télévision, les radios et les organes de presse écrite mettent un
point d’honneur à traiter l’information sportive. Il faut dire que le sport, par son caractère universel et transversal, touche toutes les couches de la société et de nombreux enjeux de
développement lui sont liés : l’éducation, l’économie, les loisirs, la santé, l’environnement... L’audience potentielle et l’intérêt d’un contenu informatif sur le sport ne peut donc être
négligée. Preuve de son attrait, parmi les sujets les plus recherchés sur internet en 2015, une grande partie concerne le sport : du scandale de la FIFA à la Coupe du monde de rugby en
passant par le mondial de cricket. Tapez « sport » dans Google et regardez le nombre de résultats. > La tentation de monnayer le droit à l'information est évidente L’attente du
citoyen pour l’information sportive fait bien entendu le jeu des différentes ligues et fédérations. Plus un événement est médiatisé, plus il est facile d’attirer des sponsors en recherche de
visibilité. Les stades et les arènes ne peuvent cependant accueillir toute la population journalistique désireuse de couvrir une compétition, en particulier les grands événements comme les
Jeux olympiques ou la Coupe du monde de football. L’accès pour les journalistes à une partie de l’information sportive est donc conditionné par les organisateurs d’événements qui «
choisissent » ceux qui auront le droit de rendre compte de leurs manifestations. La tentation de monnayer ce droit est alors évidente. Les chaînes de télévision, détentrices des droits de
retransmission — le spectacle sportif étant distingué de l’information —, sont bien sûr privilégiées. En échange de sommes mirobolantes, l’accès et de bonnes conditions de diffusion leurs
sont garantis ainsi qu’un droit à l’image. Seules les législations nationales ou supranationales garantissent un certain droit à l’information et empêchent la privatisation totale d’un
événement sportif. Ce droit est cependant régulièrement remis en question par les fédérations et les ligues sportives les plus médiatisées qui s’affranchissent des règles d’un jeu où tout le
monde est gagnant pour maximiser leurs profits. Les radios, mais aussi la presse écrite, se sentent de plus en plus menacées et redoutent désormais de devoir passer à la caisse pour rendre
compte d’un événement. Quand bien même ils obtiennent le précieux sésame de l’accréditation, la rationalisation de la couverture médiatique par les organisateurs conditionne de facto leurs
accès aux sources et leurs contenus. LE MARCHÉ DES ACCRÉDITATIONS _« Les tentatives de nous faire payer les accès sont de plus en plus nombreuses »_, regrette Didier Lauras, chef du
Département Sports de l’AFP. _« Nous sommes face à des puissances financières qui veulent maximiser la rentabilité de leurs événements. »_ En Inde notamment, l’agence de presse rencontre des
difficultés avec les organisateurs de matchs de cricket qui veulent faire payer aux journalistes le droit de faire des commentaires live. _« Dans ce cas-là, on se bat_, explique-t-il. _Dès
qu’un événement est public, on a le droit de le raconter. »_ Accéder à l’événement est indispensable pour le journaliste et, quand _« on propose un tel régime de restriction et de blocage
d’accès à l’information, on considère qu’on ne peut plus travailler correctement »_. Un rapport de force s’installe alors et faire valoir son droit à informer dépend largement de la capacité
de médiatisation des médias. Ce fut le cas lors de la Coupe du monde de rugby en 2007. Plusieurs agences de presse, dont l’AFP, Reuters et Associated Press, ont menacé l’organisateur de
l’événement, l’International Rugby Board (IRB), de boycotter la manifestation. La raison du divorce : le contrôle des images. L’instance sportive de rugby voulait limiter à 50 le nombre de
photos par match alors que l’IRB et la coalition des agences de presse s’étaient initialement entendus pour pouvoir en diffuser 6 000. L’organisateur de la Coupe du monde souhaitait pour
couronner le tout avoir un droit d’utilisation gratuit et à vie sur les photos prises lors de l’événement, condition _sine qua non_ à l’accréditation des journalistes. Les agences ont
finalement gagné leur bras de fer après un jour effectif de boycott, la puissance médiatique de celles-ci étant trop importante pour être négligée. Tous les médias ne résistent pas autant à
la pression qu’imposent certains organisateurs d’événements sportifs. Lors des Championnats du monde de handball en 2015, Europe 1 avait ainsi cédé aux exigences de Pitch, la société en
charge de la commercialisation des droits audiovisuels, et payé 25 000 euros pour avoir le droit de commenter en live les matches. Les radios françaises s’étaient pourtant entendues pour
refuser toute monétisation de ce droit garanti en France. Le droit d’accès des radios aux événements sportifs pour le commentaire est effectivement garanti par l’article 333-7 du Code du
sport. Il dispose que _« la cession du droit d’exploitation d’une manifestation […] ne fait pas obstacle à la réalisation et à la diffusion gratuite par tout service de radiodiffusion sonore
[…] du commentaire oral de cette manifestation »._ L’Union des Journalistes de Sport en France, qui s’occupe de l’accréditation des journalistes aux grands événements et de leurs bonnes
conditions de travail, veille au grain pour que ces mesures soient respectées. _« L’IHF [International Handball Federation, NDLR] nous a demandé de faire payer les droits radios pour les
Mondiaux que la France organise en 2017 »,_ avance le secrétaire général Alexandre Audabram. _« On a bien sûr refusé au nom du droit à l’information français. » _La France fait figure
d’exception, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou encore l’Espagne payent eux des droits de retransmission radiophoniques. > Plus le sport et l’événement sont médiatisés, plus il est
> difficile d’obtenir des accréditations _« Obtenir des accréditations pour tous les journalistes est une négociation permanente_, explique-t-il. _Les ligues et les fédérations ont besoin
d’argent, mais que cela ne se fasse pas sur le dos de la liberté d’expression et de la liberté d’informer. » _Plus le sport et l’événement sont médiatisés, plus il est difficile d’obtenir
des accréditations. Sur 489 demandes pour l’Euro 2016, 250 journalistes dont 60 photographes ont obtenu le graal tant recherché. DES DÉTENTEURS DE DROITS PRIVILÉGIÉS Les détenteurs de droits
de retransmission, eux, négocient directement avec les instances sportives l’accès aux manifestations. Plus un média acquitte de droits, plus son nombre et son niveau d’accréditation seront
élevés. Autrement dit, le capital économique d’un média conditionne sa capacité à rendre compte d’un événement et son accès aux sources. Les droits de retransmission pèsent dans de nombreux
sports plus de la moitié de son financement total. En 2012-2013, les droits audiovisuels ont rapporté 735 millions d’euros aux clubs de Ligue 1 sur un chiffre d’affaires total de 1 500
millions. Les droits de retransmission des Jeux olympiques d’hiver 2014 et d’été 2016 ont aussi financé la compétition à hauteur de 50 %, soit 4,1 milliards de dollars. On comprend donc
aisément que les instances sportives chouchoutent les détenteurs de droits plutôt que les médias non-détenteurs. Les détenteurs payent ainsi un accès et une utilisation des images illimitée,
en plus d’un « droit de priorité » sur les sources d’information sportive. Leur pouvoir de contrôle et d’influence sur les modalités de couverture d’un événement et l’organisation de
celui-ci est inégalé. Des places de choix leur sont réservées pour les interviews en zone mixte 1 ou la prise d’images. Le droit français prévoit cependant une exception au droit
d’exclusivité des images des chaînes détentrices de droits. _« De brefs extraits prélevés à titre gratuit parmi les images du ou des services cessionnaires et librement choisis »_ peuvent
être utilisés par les autres chaînes de télévision dans une émission d’information, selon le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Sont concernés les journaux télévisés et les magazines
sportifs pluridisciplinaires ou d’information générale, d’une fréquence au moins hebdomadaire. Ce droit à l’information est cependant limité dans le temps : 30 secondes d’images par jour
pour une rencontre de championnat d’un sport collectif. L’IMPACT SUR LES CONTENUS On peut dès lors s’interroger sur l’impact que provoque cette privatisation des événements sportifs par
certains médias sur les contenus. _« Les enjeux économiques influent sur les contenus à partir du moment où on a des annonceurs et des éditeurs, surtout quand les rôles se mélangent »_,
explique Rosarita Cuccoli, spécialiste de la relation entre l’industrie des médias et du sport. Exercer un esprit critique sur une manifestation sportive lorsqu’on le finance se révèle
compliqué. Payer un droit d’accès peut aussi entraîner des conséquences sur la hiérarchisation de l’information. En effet, le traitement du sport dans les journaux des chaînes de télévision
reflète en partie la répartition des droits de retransmission 2. C’est ainsi que TF1, principal diffuseur de sport automobile, est la chaîne qui accorde le plus de place à ce sport, et que
France 2, qui possède les droits de retransmission du Tour de France, parle plus de cyclisme que les autres chaînes. _« De façon réaliste, on ne peut envisager un journalisme sportif qui
vive sans entretenir de très bonnes relations avec les fédérations et les organisateurs d’événements sportifs, _prévient la chercheuse. _Le risque que de bonnes relations puissent se
transformer en dépendance ou connivence dépend largement des journalistes. » « C’est aux journalistes de faire en sorte que leurs contenus ne soient pas de nature promotionnelle »,_
renchérit-elle. Une mission difficile dans un monde où la communication est plus que verrouillée. La liberté, cette fois d’accès aux sources, est aussi menacée. Interviewer un joueur demande
au journaliste un véritable parcours du combattant. Il doit faire face en premier lieu à tout un arsenal de chargés de relation presse, parfois présents lors des échanges. _« Impossible de
passer 1h30 avec un champion de NBA contrairement à Martin Fourcade, champion olympique et champion du monde de biathlon à plusieurs reprises »_, raconte Didier Lauras de l’AFP. Reste alors
les conférences de presse avant et après matches pour obtenir les déclarations de joueurs. Mais _« puisqu’on a tous accès aux mêmes joueurs,_ poursuit Didier Lauras, _on se retrouve tous à
écrire la même chose. »_ Les journalistes de presse écrite sont du coup nombreux à récupérer les déclarations faites à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Les interviews, portraits et
angles plus analytiques ont ainsi supplanté petit à petit le récit du terrain, faute de réelle plus-value. L’extension de la commercialisation d’un droit d’accès à la manifestation sportive
reste un danger pour la liberté d’informer du journaliste. Sans contact direct avec le terrain et ses acteurs (joueurs, public…), celui-ci ne peut témoigner avec précision, et en toute
indépendance, d’un événement aussi important. -- À LIRE ÉGALEMENT RÉFÉRENCES Françoise PAPA, « L’information sportive : une marchandise ou un droit ? », _Les Cahiers du Journalisme_, n°11,
Décembre 2002 Sandy MONTANOLA, Hélène ROMEYER, Karim SOUANEF,« Journalistes et communicants : cohabitation « forcée » et co-construction de l'information sportive », _Les Enjeux de
l'information et de la communication,__ __1/2012 (n° 13/1, _p. 144-156 ) -- Crédits photos : _Sport. Emirates Stadium, Arsenal_. Darren Johnson - IDJ Photography / Flickr. Licence CC
BY-ND 2.0 _Sachin get to 14 000 runs_. Pulkit Sinah / Flickr. Licence CC BY-SA 2.0 _Can you see an opening ?_ Jeffrey Davis / Flickr. Licence CC BY 2.0 * 1Zone de rencontre entre les joueurs
et les journalistes. * 2INA Stats, n°42, à paraître.