Comment l’europe de la renaissance inventa l’actualité

feature-image

Play all audios:

Loading...

L’invention de l’actualité est un phénomène complexe. Quels ont été les premiers médias d’information modernes à être diffusés à grande échelle sur le continent et que nous apprennent leurs


formes ainsi que leurs contenus ? L’invention de Gutenberg a-t-elle bouleversé les manières de communiquer de l’information ? Qu’est-ce qui faisait événement à la Renaissance ? Pour répondre


à ces questions, nous partirons de l’âge d’or des gazettes pour remonter ensuite aux origines de la presse écrite en Europe. LES GAZETTES ET L’ESPACE MÉDIATIQUE EUROPÉEN Le 30 mai 1631 est


une date majeure de l’histoire de France. Le roi n’est pas mort pourtant, et aucune naissance princière n’est annoncée. Nulle bataille, dont l’issue incertaine pourrait faire basculer le


sort du royaume ou l’histoire d’un règne commencé vingt-et-un ans plus tôt. Pas de gigantesque tremblement de terre non plus, ni d’incendie majeur. Pas de comète dans le ciel. Au cœur du


printemps 1631, la France découvre un nouveau plaisir : celui de lire la gazette. Pas de miracle donc, sinon celui réalisé par Théophraste Renaudot (1586-1653), un médecin qui jouit des


bonnes grâces du cardinal de Richelieu et qui a déjà à son actif la création d’un _Bureau d’adresses_ spécialisé dans la publication d’annonces diverses. « C’est bien une remarque digne de


l’histoire, écrit-il alors, que dessous soixante-trois Rois, la France, si curieuse de nouveautés, ne se soit point avisée de publier _La Gazette_ ou recueil par chacune semaine des


nouvelles tant domestiques qu’étrangères, à l’exemple des autres états et même de tous ses voisins ». _La __Gazette_ – qui n’est « de France » qu’entre 1762 et 1792, « nationale de France »


par la suite – est à l’origine composée de quatre pages de 23 sur 15 cm, avant de passer à huit pages en 1642, puis douze en 1683. Hebdomadaire sortant le vendredi entre 1631 et 1632, _La


Gazette_ paraît le samedi entre 1633 et 1761, puis deux fois par semaine jusqu’en décembre 1791 avant de devenir quotidienne en 1792. En 1638, elle est tirée à 1 200 exemplaires chaque


semaine, sans compter ses nombreuses réimpressions provinciales. Dix fois plus de copies sont imprimées au milieu du siècle suivant, à la faveur, notamment, de la guerre dite « de Sept Ans 


». _La Gazette_ est le premier périodique d’information de grande diffusion imprimé en langue française. Sa création a procédé du souci du pouvoir royal de centraliser et de canaliser la


circulation de l’information dans le royaume, afin notamment d’empêcher que les opinions sur les affaires du temps se construisent de manière autonome et, donc, potentiellement critique,


vis-à-vis du pouvoir. Mais l’information publique, l’actualité moderne même, n’est pas née en 1631 « à l’enseigne du Grand Coq, rue de la Calandre, près du Palais ». Si Renaudot force un peu


le trait en affirmant que « tous [les] voisins » du roi de France publient des recueils de nouvelles, il est vrai que, depuis plusieurs années, circulent dans le royaume des gazettes


fabriquées à l’étranger, particulièrement en provenance des Provinces-Unies, du nom de la partie septentrionale des Pays-Bas séparée du pouvoir espagnol depuis la proclamation de l’Union


d’Utrecht en 1579, ainsi que des Pays-Bas méridionaux. À Anvers d’abord, puis à Amsterdam ensuite bat le cœur de l’Europe des médias. La première voit paraître sous différents noms


successifs le périodique d’Abraham Verhoeven (1575-1652), connu et apprécié au point d’être réédité à plusieurs reprises, tandis que la seconde se dote d’un _Courant_ dès 1618, qui traduit


et imprime les nouvelles venus d’Italie. Si le modèle de Renaudot est bien hollandais, c’est à Strasbourg, ville libre du Saint-Empire romain germanique, qu’il faut se rendre pour trouver ce


qu’il est coutume de considérer comme l’acte de naissance de la presse périodique européenne. Un jeune vendeur de livres répondant au nom de Johann Carolus (1575-1634) y a eu en 1605 l’idée


simple mais brillante d’imprimer chaque semaine des informations générales relatives aux affaires politiques, militaires et diplomatiques du temps. Le modèle de la _Relation_ de Carolus,


dont les premiers exemplaires parvenus jusqu’à nous datent seulement de 1609, est rapidement repris en divers lieux de l’Europe germanique, comme à Francfort, par exemple, où paraît un


_Postzeitung_ dès 1615. Le lien entre l’émergence de nouveaux titres et les guerres dites de « Quatre-Vingt » et de « Trente » ans est évident. Au cours des années 1620-1630, dans le


contexte immédiat des guerres européennes, l’espace médiatique européen s’étend et se densifie. Les périodiques se multiplient, hors d’Allemagne notamment, et l’Europe des médias voit alors


son centre de gravité progressivement basculer vers les provinces du Nord. > Devenues progressivement plus fréquentes, plus denses et moins > chères, les communications européennes ont


 permis la parution de > périodiques Cette époque voit l’Europe se couvrir de gazettes sur des structures et des médias hérités des périodes antérieures. L’entreprise de Carolus doit


ainsi beaucoup au système postal mis en place dans l’empire au tournant des XVe et XVIe siècles. Le continent est refaçonné par la modernisation des routes principales, par le développement


d’axes secondaires et la rationalisation des relais sur des itinéraires jugés stratégiques sur le plan administratif ou commercial. Devenues progressivement plus fréquentes, plus denses et


moins chères, sous l’impulsion de Maximilien Ier et de ses maîtres des postes, les communications européennes ont permis la parution de périodiques. Le succès, la forme même de la _Relation_


de Carolus, doit ainsi beaucoup à la situation de Strasbourg dans l’espace impérial, ainsi qu’au rythme des courriers apportant les lettres privées et officielles qui en forment la matière


première, avec quantité de bruits, de rumeurs et de « on-dit ». LA NAISSANCE DE LA PRESSE ÉCRITE Néanmoins, l’actualité ne se résume pas aux seules gazettes. Il n’est pas nécessaire, par


exemple, d’attendre le XVIIe siècle et les premières gazettes européennes pour que l’invention de Gutenberg soit mise au service de la communication de l’information. Maîtrisant la technique


et disposant de la technologie, nombreux sont en effet les imprimeurs-libraires de la Renaissance à profiter d’un événement jugé remarquable, une bataille le plus souvent, pour produire et


vendre des comptes rendus tirés de lettres particulières ou publiques qui sont reproduites_ in extenso_ ou sous forme d’extraits, quand elles ne sont pas réécrites ou inventées. Médias


d’information, d’annonce, de célébration, ces occasionnels sont le plus souvent qualifiés de « _relaciones de sucesos _» en Espagne, ou d’« _avvisi _» en Italie. Pouvant être également


versifiés, déclamés ou chantés à destination d’un public qui excède alors le premier cercle des lecteurs, ces avis et autres relations d’événements sont pris dans des chaînes d’écriture et


des logiques de communication complexes qui mêlent presque toujours manuscrit et imprimé, privé et public, écrit et oral. Ce sont ces supports qui constituent les principaux médias


d’information non périodiques de la première modernité. Médias de large diffusion, ils sont matériellement proches des « canards » (brochures), parfois « sanglants » qui font alors surtout


la part belle aux faits divers et nouvelles « extraordinaires », mais aussi des libelles, brochures et autres pamphlets politiques ou religieux qui circulent sur le continent en ces temps de


Réforme. Dans un premier temps, la communication publique de l’information sur les affaires du monde — ce dévoilement quasi sacrilège des _arcana imperii_ — a été condamnée, notamment par


les papes, au nom de la bienséance et de l’ordre public. Et les pourvoyeurs de nouvelles d’être assimilés, parfois à raison, aux habiles faiseurs de _pasquinades_, ces placards satiriques


dont la prose parfois savoureuse faisait trembler les plus puissants. > La guerre moderne est aussi une guerre de l’information En Italie, et particulièrement à Venise, le tournant des


XVe et XVIe siècles est décisif. C’est dans le contexte des guerres menées contre l’envahisseur français, et particulièrement au cours de la guerre de la Ligue de Cambrai (1508-1516), que se


généralise l’impression des nouvelles. Comme dans le contexte des guerres vénéto-ottomanes, à l’instar de celle menée pour la défense de l’île de Chypre en 1570-1573, l’intérêt du public


croise celui d’un gouvernement prêt à se servir de tous les moyens modernes de communication mis à sa disposition pour contrôler la publication d’une version officielle sur les événements,


forger l’opinion, sinon du public du moins des princes et de leurs conseillers, afin de mobiliser les alliés de la Sérénissime République. La guerre moderne est aussi une guerre de


l’information. LES PREMIERS JOURNAUX SONT MANUSCRITS Contrairement à une idée reçue, les gazetiers du XVIIe siècle n’ont pas inventé la communication périodique et publique des nouvelles. Le


premier média d’information périodique mis en circulation en Europe date en effet du siècle précédent et il n’est pas imprimé, mais manuscrit. On parle alors d’« _Avvisi a mano _» en Italie


ou de « nouvelles à la main » en France pour évoquer une sorte de gazette manuscrite qui compile semaine après semaine l’essentiel de l’actualité d’une ville, d’une région ou du continent.


Cette gazette manuscrite déploie, de manière succincte, plus sommairement que ne le feront les gazettes imprimées ensuite, des événements d’ordre politique, militaire et dynastique. Ces


premiers médias d’information périodique de nature publique se composent de deux à trois folios. Les nouvelles y apparaissent selon un ordre quasi immuable, qui ne reprend rigoureusement la


chronologie des événements que dans le cas des périodiques portant sur l’actualité locale, comme dans le cas des _Avvisi di Roma_, par exemple. Quand l’actualité est internationale, comme


dans le cas précoce de Venise notamment, l’ordre, grossièrement chronologique, ne respecte pas toujours le cours des événements, mais correspond plutôt à celui de l’entrée dans la ville des


différents courriers ou au moment où la nouvelle a été portée à la connaissance du nouvelliste. Les compilateurs de nouvelles locales ont des yeux et des oreilles un peu partout dans leur


ville d’exercice, quand les autres composent aussi à partir des lettres marchandes ou officielles, correspondances auxquelles ils peuvent avoir accès de manière plus ou moins directe en


fréquentant des négociants, du personnel de chancellerie, en étant présents sur les marchés, à proximité des palais et des résidences des ambassadeurs, du côté des banques, à Rome, entre le


pont du Rialto et la place San Marco à Venise. Les compilateurs vénitiens s’informent de ce qui se raconte chez le barbier quand leurs homologues londoniens et parisiens s’approvisionnent au


pub ou au café. Ils peuvent aussi reprendre, comme le feront du reste de manière plus systématique encore les gazetiers du siècle suivant, les nouvelles précédemment publiées dans d’autres


villes, selon des circuits qui dépendent encore au moins des réseaux postaux que des réseaux personnels. Composant la majeure partie des nouvelles publiées de manière manuscrite et


périodique dans l’Italie de la fin du XVIe siècle, les lettres d’origine diplomatique ou marchande forment, à un autre niveau, le modèle sur lequel se sont basés les premiers compilateurs de


nouvelles publiques, imitant en cela les manières de fonctionner précédemment développées dans les chancelleries et au sein des principaux réseaux commerciaux. > L’histoire politique et 


l’histoire économique, l’histoire de > la diplomatie, de l’État et des pratiques marchandes, se croisent > pour expliquer la nature de l’actualité à l’époque moderne. L’histoire


politique et l’histoire économique, l’histoire de la diplomatie, de l’État et des pratiques marchandes, se croisent pour expliquer la nature de l’actualité à l’époque moderne. Antérieurement


au développement des premiers outils statistiques, les différents acteurs de la décision politique et économique – secrétaires de chancellerie, agents de négoce et diplomates de différents


rangs – ont été confrontés à un problème similaire, posé par l’accroissement sans précédent des informations à traiter et à diffuser au sein des organisations consécutivement à


l’amélioration des communications surtout, ainsi qu’en raison d’autres facteurs, telle la généralisation de la représentation diplomatique permanente en Europe à compter de la fin du XVe


siècle et des premières années du siècle suivant. Ils ont répondu à ce défi en développant un format inédit reposant sur la synthèse des données et leur compilation, soit quelque chose qui,


sur le plan matériel et discursif comme au niveau des contenus, s’avère être tout à fait similaire aux premiers périodiques d’information diffusés ensuite en Europe. Dans les nouvelles à la


main de langue allemande, connues sous le nom de _Fuggerzeitungen_, du nom des célèbres banquiers d’Augsbourg, dans les _Avvisi a mano_ italiens, comme dans les bulletins officiels compilés


au début du XVIe siècle par la chancellerie vénitienne à l’attention de ses agents en poste à l’étranger, le compte rendu des événements excède rarement deux phrases. Le péritexte des


nouvelles à la main est réduit à son plus simple appareil. En haut du premier verso : pas de titre, sinon le lieu et la date de compilation des nouvelles. Pas de rubriques classées


thématiquement ensuite, ni de hiérarchies entre les nouvelles. Pas d’efforts particuliers de mise en page, à l’exception de retours à la ligne et d’alinéas qui, soulignés par des amorces


stéréotypées, du type « Par lettres de…, de telle date, on a appris que… », détachent dans la verticale gauche le lieu et la date des nouvelles et permettent ainsi un repérage aisé des


informations au sein du feuillet. L’ÉCHO DES ÉVÉNEMENTS Dès l’origine, et pour longtemps, les événements rapportés sont évoqués de manière fortement personnalisée : souverains, principaux


ministres et conseillers, diplomates, généraux et ennemis publics du moment se partagent les feux de l’actualité. Les sujets sont peu variés. Le bruit des armes et les bruissements des cours


ont la faveur des nouvellistes. Seule une catastrophe naturelle peut de temps à autre détourner leur attention de la santé des princes, des faveurs reçues ou perdues par tel ou tel Grand,


du mouvement des armées ou du déplacement des ambassadeurs, des révoltes également, voire de quelque fait divers de première importance. Les nouvelles rapportées sont similaires à celles


dont les auteurs de chroniques et d’almanachs faisaient leur miel dès la fin du Moyen Âge. > Le temps des journalistes n’est pas encore venu De plus, la séparation entre le fait et


l’analyse du fait se révèle essentielle, héritage sans doute de l’origine fonctionnelle, stratégique et professionnelle de la communication des nouvelles. À l’exception de quelques rares et


toujours rapides considérations sur la validité de l’information transmise, les compilateurs des périodiques de première génération, comme les premiers gazetiers ensuite, ne commentent


jamais l’actualité. Et il n’est pas rare qu’une nouvelle explicitement incertaine, voire totalement erronée ou mensongère, soit malgré tout communiquée. L’actualité se présente comme un


simple un écho des événements. Le nouvelliste distribue plus qu’il ne compose l’information. Le temps des journalistes n’est pas encore venu. L’information périodique est née à la


Renaissance et s’est en partie développée indépendamment de l’invention de l’imprimerie. Ni le succès de la gazette ni l’invention de nouvelles formes de périodiques au siècle suivant,


mensuels puis quotidiens notamment, ne la font disparaître, des centaines de nouvelles à la main circulant encore en France au XVIIe et au XVIIIe siècles. Le maintien du manuscrit face à


l’imprimé n’est aucunement dû à la nature secrète ou sensible des informations transmises. Il n’est pas non plus le signe, et encore moins la cause, d’un quelconque conservatisme dans les


manières de produire ou de consommer l’actualité. Encore dans les années 1660, de nouveaux titres apparaissent. C’est le cas, par exemple, des nouvelles à la main produites à Livourne par un


certain « _Sincero Sincerissimi _», le « Sincère Très Sincère », qui met sur le marché un feuillet de petite dimension spécialisé de manière tout à fait inédite dans l’actualité maritime.


Ce nouvelliste propose également ses services d’informateur de manière plus directe, accompagnant ponctuellement ses feuillets de lettres de nouvelles plus personnalisées, autre indice de la


grande proximité entre l’activité épistolaire et le proto-journalisme, entre le travail d’informateur particulier et celui de gazetier. RÉFÉRENCES * Wolfgang BEHRINGER, _Im Zeichen des


Merkur: Reichspost und Kommunikationsrevolution in der Frühen Neuzeit_, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2003. * Ann M. BLAIR, _Too Much to Know?: Managing Scholarly Information before


the Modern Age_. New Haven, Yale University Press, 2010. * Filippo DE VIVO, _Patrizi, informatori, barbieri: politica e comunicazione a Venezia nella prima età moderna_, Milano,


Feltrinelli, 2012. * Mario INFELISE, _Prima dei giornali: alle origini della pubblica informazion, _Roma, Laterza, 2002. * François MOUREAU, éd., _De bonne main: la communication manuscrite


au XVIIIe siècle_, Paris, Universitas, 1993. * Johann PETITJEAN, _L’Intelligence des choses: une histoire de l’information entre Italie et Méditerranée (XVIe-XVIIe siècles_, Rom, École


française de Rome, 2013. * Rosa SALBERG, _Ephemeral city: cheap print and urban culture in Renaissance Venice_, Manchester, Manchester University Press, 2014. * Jean SGARD, éd.,


_Dictionnaire des journaux: 1600-178, _2 vol. Paris: Universitas, 1991. -- Crédit : Ina. Illustration Martin Vidberg. DU NÉOLITHIQUE AU NUMÉRIQUE, UNE HISTOIRE DE L’INFORMATION - ÉPISODE


7/10 Après l’apparition des gazettes périodiques dès 1631, le XVIIe siècle constitue un tournant dans l’histoire de l’information et de sa circulation grâce à la presse francophone éditée en


Hollande. Des pionniers du journalisme politique développent une pluralité de discours d’actualité.