Affaire jubillar : comment une disparition est devenue un fait divers d’envergure nationale

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Le 23 décembre 2020, BFMTV couvre la battue citoyenne organisée par la gendarmerie pour retrouver Delphine Jubillar. © Crédits photo : BFMTV / Capture d’écran. Depuis la disparition de


Delphine Jubillar en décembre 2020, l’affaire alimente journaux, télés et radios au gré des rebondissements. Des journalistes qui ont couvert ce fait divers dès les premiers jours nous


détaillent les ingrédients qui lui ont rapidement conféré une dimension nationale._ _ Lola Dhers Publié le 15 décembre 2022 Cagnac-les-Mines, commune du Tarn de 2 500 habitants, s’est à


nouveau retrouvée, mardi 13 décembre 2022, sous le feu des projecteurs. La justice avait ordonnée une reconstitution de la nuit du 15 au 16 décembre 2020 au cours de laquelle Delphine


Jubillar a disparu. La veille de cette opération, le JT de 20 heures de France 2 a fait le point sur les avancées de l’enquête. L’AFP a rappelé les dates clés de l’affaire. _Le Figaro__, Le


Parisien, _et _Libération _sont également revenus sur l’affaire. Comme l’ensemble des médias depuis deux ans. Le 18 décembre 2020, _La Dépêche du Midi_ relatait la première la « _mystérieuse


__disparition »_ d’une jeune femme de 33 ans, brune, d’un 1,68 mètre, vêtue d’une doudoune blanche. Malgré la cinquantaine de gendarmes mobilisés pour la retrouver, la mère de famille reste


introuvable. Delphine Aussaguel, épouse Jubillar, a quitté le domicile familial de Cagnac-les-Mines, à quelques kilomètres au nord d’Albi dans la nuit du 15 au 16 décembre. Et n’est plus


jamais réapparue. En décembre 2020, la France sort tout juste du deuxième confinement. On enregistre encore plus de 10 000 cas de Covid par jour et le couvre-feu est toujours de mise. En


dehors de cette atmosphère assombrie par la pandémie, l’actualité est plutôt creuse. La disparition de Delphine Jubillar, d’abord cantonnée aux pages du quotidien régional, va vite émouvoir


la France entière. Et alimenter les rubriques police-justice de nombreux médias nationaux. Pourquoi cette disparition-là, alors que selon le ministère de l’Intérieur, plus de 40 000


personnes disparaissent par an en France et que seules 10 000 sont retrouvées ? « _LA DISPARITION D_’_UNE MÈRE DE FAMILLE N_’_EST JAMAIS BANALE _» Pour Frédéric Abéla, journaliste à la


_Dépêche du Midi_, le manque d’événements marquants à cette période de l’année a évidemment joué son rôle dans le traitement par son journal de cette disparition. Mais il ajoute : _« On a


senti qu_’_il se passait quelque chose de bizarre, de tr__è__s étrange. Pourquoi cette femme, qui n_’_avait aucune raison de partir de chez elle, était-elle du jour au lendemain, introuvable


 ? »_ Margaux d’Adhémar, journaliste police-justice au _Figaro_, raconte qu’elle a pressenti, dès le début, sa future _« résonance médiatique »__ _:_ « Il s_’_agit de la disparition d_’_une


m__è__re de famille qui est aussi infirmi__è__re, alors que nous sommes en pleine crise du Covid-19. Elle suscite une certaine empathie. __[__...__]__ Elle avait une vie assez banale. Au


premier regard, rien ne ressort de sa personnalité, elle semble tr__è__s lisse. » _C’est aussi, avance Frédéric Abéla, une famille à laquelle beaucoup de gens peuvent s’identifier : _« Les


Jubillar concentrent tous les éléments des gens dans lesquels on peut facilement se projeter ». _Grand reporter en charge de l’affaire au _Parisien_, Ronan Folgoas confirme :_ « La


disparition d_’_une maman, ce n_’_est jamais banal. »_ Envoyée sur place, sa collègue Julie Rimbert interroge le mari, Cédric Jubillar. Le premier article du _Parisien _sur la disparition


paraît le 20 décembre. Le même jour, _Le Figaro reprend une dépêche de l’AFP_ qui fait état d’un important dispositif de recherches pour retrouver la jeune femme. Le 23 décembre, un millier


de personnes répondent à l’appel lancé sur les réseaux sociaux par la gendarmerie du Tarn pour participer à une grande battue autour du village. Dans son livre _Le myst__è__re Jubillar_


(éditions Studiofact, 2022), Ronan Folgoas écrit : _« La majorité des personnes présentes ce mercredi matin n_’_ont jamais croisé Delphine ou Cédric Jubillar. Pourtant, elles se sentent


solidaires et concernées, comme si ce mauvais conte de No__ë__l réveillait en elles une peur enfouie. »_ L’importance de la mobilisation « _intrigue les télévisions _», nous raconte Matthias


Tesson, de BFMTV. Cette chaîne, TF1 et France 2 ont commencé à mentionner la disparition d’une mère de famille dans le Tarn dès le 21 décembre. Les mêmes télévisions, tout comme l’AFP, sont


présentes pour filmer la battue citoyenne. Pour Ronan Folgoas, cet épisode constitue une _« bascule »_ dans la médiatisation de l’affaire. « _UNE AFFAIRE DAVAL BIS _» Peut-être aussi parce


qu’il rappelle un autre fait-divers qui vient de trouver son achèvement médiatique : « l’affaire Daval ». En octobre 2017, une joggeuse de 29 ans s’évapore. Le mari d’Alexia Daval, Jonathann


Daval, alerte la gendarmerie de Gray (Haute-Saône). Le corps, en partie calciné, est retrouvé deux jours après le signalement de sa disparition. Face aux caméras, Jonathann joue d’abord le


veuf éploré, avant d’avouer son crime à la mère d’Alexia, le 30 janvier 2018, alors qu’il a été placé en garde à vue. Le 21 novembre 2020, à peine un mois avant la disparition de Delphine


Jubillar, Jonathann Daval est condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Le parallèle s’opère vite. Matthias Tesson parle ainsi d’_«_ affaire _Daval bis _» pour qualifier les débuts


de ce fait divers. _« La fin du proc__è__s Daval a tout de suite créé __un int__érêt médiatique pour l_’_affaire. On avait l_’_impression de voir un Daval numéro 2 dans Cé__dric Jubillar »_,


témoigne Guillaume Gendron, qui suit l’affaire pour _Libération. _La comparaison avec Jonathann Daval, le suspect la fait aussi lui-même, nous raconte Ronan Folgoas qui l’a rencontré à


plusieurs reprises avant qu’il ne soit écroué. Le journaliste du _Parisien _a eu accès à l’une des écoutes téléphoniques entre Cédric Jubillar et la sœur de Delphine, dans laquelle il


s’énerve contre l’une des cousines de la disparue : _« C_’_est à cause d_’_elle si je suis considéré comme le Daval 2 pour 95 % de la populace, c_’_est à cause d_’_elle ! »_ D’où, pour le


grand reporter, l’attitude initialement discrète, de Cédric Jubillar devant les médias : _« Pour Cédric, il faut être l_’_anti-Daval : surtout ne rien dire, fuir les médias. Avec son avocat,


il décide que le mieux, c_’_est de se taire. »_ _« Est-ce qu_’_on aurait autant parlé de l_’_affaire Jubillar s_’_il n_’_y avait pas eu ces autres affaires avant ? »_, s’interroge Margaux


d’Adhémar. La journaliste du _Figaro_ va jusqu’à comparer le fait divers, par sa résonance médiatique, à l’affaire du petit Grégory ou à celle de Xavier Dupont de Ligonnès. « _JUBILLAR,


C_’_EST L_’_INFO JACKPOT _» Comment et à quelle fréquence couvrir l’affaire Jubillar ? Chaque média et chaque journaliste a sa propre réponse. _Le Figaro_ se positionne sur _« les avancées


judiciaires »_ qu’il traite impérativement, comme la sixième demande de remise en liberté de Cédric Jubillar, le 10 octobre 2022. À _Libération_, Guillaume Gendron préfère quelques longs


formats qui analysent davantage les rouages du fait divers, plutôt que le feuilleton qui suivrait chaque hoquet de l’actualité. Jusqu’à présent, l’affaire Jubillar a quand même fait l’objet


d’une quarantaine d’articles dans _Libé_ (« récaps » de l’actu compris). _Le Figaro_ est lui plus présent, avec plus de 200 articles et même une série d’été en cinq épisodes en 2022. La


couverture serait-elle excessive ? Patrick Isson parle d’une affaire extrêmement « _vendeuse »_ et mentionne « _les centaines de milliers de clics »_ récoltés par ses articles sur le site de


RTL. « _Comme cette histoire passionne le public, évidemment qu_’_on en parle »_, conclut le journaliste. _«_ _Aujourd_’_hui, tout est mesuré par le barom__è__tre de l_’_audience_. « 


_Jubillar, c_’_est l_’_info jackpot », _estime Frédéric Abéla. Le journaliste de _La Dépêche du Midi_ rappelle que sans une audience, une information n’existe pas. Mais il soutient : _« __On


ne peut__ __pas parler de cette affaire sans faire un examen de conscience sur la façon dont fonctionnent les médias aujourd_’_hui__.__ __» _Il y voit un _« emballement hors normes »,


_parfois_ « pour des choses qui n’en valaient pas la peine »_. Matthias Tesson, de BFMTV_, _estime que ce genre d’actualité et son traitement sont en réalité « _symptomatiques d_’_une époque


et du principe de l_’_info en continu__ »_, qui nécessite d’alimenter en permanence les chaînes d’info et le web. COMME DANS UN CONTE Le mystère qui reste entier autour de cette disparition


(pas de corps, pas d’arme, pas de scène de crime, comme le souligne _Le Parisien) _explique en partie la curiosité. « _C_’_est rare. Cela ajoute du suspens et de l_’_attrait à cette affaire


 »,_ nous explique Matthias Tesson. C’est même, pour Patrick Isson de RTL, l’une des raisons pour lesquelles on parle encore aujourd’hui de cette disparition dans les médias. Guillaume


Gendron va plus loin et parle d’un fait divers « _exceptionnel » _: « _Il n_’_y a pas beaucoup d_’_affaires de ce type o__ù __au bout de plus d_’_un an et demi, il n_’_y a toujours pas de


corps ni d_’_indices indiscutables, comme l_’_arme du crime. »_ Ce fait divers « _devrait entrer dans les annales judiciaires »_, prédit le journaliste de _Libération_. Même si _« dans ce


genre d’histoire, il __y__ a toujours une part_ _d’irrationnel », _rappelle Ronan Folgoas, plusieurs _« ingrédients »_ rapprochent celle-ci d’une fiction. Margaux d’Adhémar relève ses


multiples rebondissements : l’incarcération de Cédric Jubillar le 18 juin 2021, par exemple. Le placement en garde à vue de sa nouvelle compagne, Séverine, le 15 décembre de la même année,


fait l’ouverture du journal de 13h de France 2. Pour la journaliste du _Figaro_, _«l_’_aspect romanesque” _de l’affaire Jubillar tient aussi à son _« dé__cor__ » _: _« une petite ville toute


mignonne qui représente une certaine France, une femme infirmi__è__re et un mari qui semble en marge. Cé__dric Jubillar a le r__ôle parfait du méchant. C_’_est un peu _“_La Belle et la


Bête” »_. Un côté _« __conte __»_ que Guillaume Gendron souligne également, évoquant même une _« malédiction»._ Il fait référence à l’état délabré de la maison qu’habitait le couple qui


n’arrivait pas à la rénover, faute d’argent. Comme si cette atmosphère lugubre présageait d’un drame. La reconstitution de mardi était l’un des derniers actes d’enquête possible avant un


éventuel procès. Largement couverte, elle n’a pas permis de lever le mystère, mais bien de confirmer l’intérêt des médias pour cette intrigue.