« 64 % de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple » | la revue des médias

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Dans L’Information à tout prix (Ina Éditions), Julia Cagé, Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé quantifient le recours massif au copié-collé dans les médias en ligne et la vitesse de


propagation d’une information. Comment, dans ces conditions, monétiser l’information ? Extraits. 


Historiquement, les journaux ont été désireux de supporter ces coûts fixes élevés [en particulier les coûts relatifs à la taille de la rédaction, ndlr] car en contrepartie, ils espéraient


des profits. Publier une information en exclusivité pour un journal papier lui assurait, au moins durant une journée, une augmentation de ses ventes et donc de ses revenus, car cette


information n’était pas disponible dans l’exemplaire papier des journaux concurrent1. Autrement dit, l’information avait alors une valeur commerciale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Sur


Internet, sitôt publiée, l’information est disponible presque immédiatement sur le site des journaux concurrents. Comment monétiser dès lors la production d’une information originale ?


Quelles incitations les médias ont-ils encore à payer pour une rédaction pléthorique alors qu’ils pourraient se contenter d’un petit nombre de journalistes en charge de monitorer le web et


de faire du copié-collé, voire de simples algorithmes et de « journalistes robots » ? (p.13)


Si l’audience agrégée totale des sites d’information augmente les jours où des événements « importants » surviennent (comme on pouvait s’y attendre), cette augmentation ne profite en moyenne


que très faiblement aux médias que l’on pourrait qualifier d’« innovants », c’est-à-dire au news breaker et à ceux qui contribuent à la production d’information originale sur l’événement.


Leur part d’audience augmente certes de façon statistiquement significative consécutivement la production de cette information originale, mais la magnitude de cette augmentation est


extrêmement faible, voire économiquement insignifiante.


Cela ne signifie pas pour autant que les médias n’ont plus aucune incitation (économique) à produire de l’information originale. Si, au jour le jour, les variations de parts de marché ne


viennent que faiblement récompenser les médias les plus innovants, au niveau agrégé, la production de contenu original par un média est fortement corrélée à l’audience moyenne de son site


internet. En moyenne sur 2013, augmenter chaque jour d’un article la production d’information originale augmente le nombre moyen de visiteurs uniques quotidiens de 14 000, ce qui est loin


d’être insignifiant pour un grand nombre de médias. Autrement dit, la production de contenu original semble entraîner sur le moyen terme un effet de réputation qui se répercute sur les


audiences en ligne. C’est cet effet de réputation qui expliquerait pourquoi les médias sont toujours incités à produire une information de qualité4.De plus, il est important de noter que cet


effet de réputation ne joue pas seulement « en ligne », mais également « hors ligne ». Au niveau mensuel, la production d’une information originale en ligne est en effet corrélée, pour les


journaux papiers, avec les ventes en kiosque5.


D’où l’importance des crédits adéquats. Or, les médias tendent de facto à « oublier » le plus souvent de citer les médias qu’ils copient : ils ne le font que dans 8 % des cas. Même quand


l’AFP n’est pas le news breaker, les médias préfèrent souvent faire référence à l’agence plutôt qu’au média qui a originellement sorti l’information. Plus de la moitié des citations sont des


références à l’AFP. Et dans la majorité des articles publiés en ligne, on ne trouve pas une seule référence à un média concurrent6. (p.17-19)


Il est frappant de noter à quel point le nombre moyen de nouveaux événements est stable dans le temps, comme si chaque jour le même nombre d’événements se produisait, inlassablement, à


l’exception des week-ends (et des vacances) où ceux-ci sont moins nombreux. On aurait pu, au contraire, s’attendre à ce que l’actualité soit variable dans son offre d’événements, certains


jours étant plus intenses en événements que d’autres, par le hasard des faits ; d’autres jours faisant la « grève des événements », pour détourner le mot heureux de Jean Baudrillard7. On


aurait pu s’attendre à ce que, pour reprendre l’hypothétique annonce imaginée par Gaye Tuchman, les médias nous fassent savoir certains jours que « du fait de circonstances hors de leur


contrôle, rien de nouveau ne s’est produit aujourd’hui » et qu’ils ne vont donc rien publier8. Mais non, au rythme de 68 en moyenne, les événements viennent toujours en nombre égal frapper


chaque jour à la porte des journalistes. Car l’événement est ici médiatique, construit par le journaliste qui ne peut rendre copie blanche9. (p.39-40)


Il faut en moyenne 405minutes (soit près de 7 heures) pour qu’une information révélée par un pure player soit reprise sur le site internet d’un média concurrent (ou par l’AFP). C’est près de


deux fois et demie le temps moyen de réactivité. Comment expliquer cette « lenteur » relative ? Elle provient en partie de l’arbitrage auquel sont confrontés les journalistes entre rapidité


d’une part et véracité de l’autre. Car les pure players souffrent en 2013 comme aujourd’hui d’un déficit de réputation par rapport à un certain nombre de médias traditionnels ; ceux-ci sont


dès lors davantage incités à vérifier les informations publiées par les pure players plutôt qu’à les reprendre instantanément. Il suffit, parexemple, de penser au très faible nombre de


reprises auquel a donné lieu l’interview de Ziad Takieddine dans Mediapart en novembre 2016 sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. (p.45-46)


Doit-on être surpris par de telles estimations ? Probablement pas. D’une part, ce résultat est cohérent avec les principaux résultats de la littérature existante, et en particulier avec les


travaux de P. J. Boczkowski, qui a mis en évidence l’homogénéisation de la production d’actualités en ligne en Argentine à partir d’une approche qualitative11. D’autre part et surtout, le


copié-collé est la contrepartie de la réactivité. On ne peut pas attendre d’un journaliste qu’il écrive à partir de rien plus de 2 000 caractères en l’espace de cinq minutes.


Doit-on s’en inquiéter ? L’enjeu est double ici. On observe une homogénéisation croissante des contenus ; il est facile de la dénoncer, mais l’on peut également décider d’observer le verre à


moitié plein et noter que l’un des corollaires de ce recours à la copie est que davantage d’information est mise à disposition du plus grand nombre gratuitement aujourd’hui12.


Par ailleurs – et c’est ce qui nous semble ici le plus inquiétant –, la combinaison du recours à la copie et de la vitesse de propagation de l’information risque de tuer à terme les


incitations des médias à produire une information originale, à faire perdre à l’information originale toute valeur commerciale. Or l’information originale est coûteuse à produire, et la


copie mêlée à la réactivité fait de chaque site internet un substitut du site concurrent. Les médias n’arrivent ainsi plus à monétiser cette information si coûteuse à produire. C’est


pourquoi il nous a semblé urgent de mettre à plat la réalité de la propagation de l’information en ligne, afin de souligner les difficultés qu’elle fait poser sur le futur de l’information


et de nos démocraties. (p.54-55)


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L’INA dévoile, ce mardi 5 avril, une étude inédite qui raconte comment la médiatisation des candidats à l’élection présidentielle 2022 a été profondément bousculée par l'invasion de


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(Paris-III).