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PAR VALENTIN CERBON (À BANGKOK) Cinq mois. Durant cinq mois, Abdus Salam aura été séquestré et vendu plusieurs fois à des groupes criminels opérant au Cambodge. Lorsqu’il atterrit à Phnom
Penh en avril 2022, le jeune homme de 27 ans pense décrocher un emploi d’informaticien bien rémunéré. Salaire mensuel : 950 euros, bien plus qu’au Bangladesh, dont il est originaire. Sauf
qu’après avoir passé un entretien, il est conduit dans un complexe jouxtant un casino, où on l’oblige à créer de faux comptes sur les réseaux sociaux. C’est là, raconte-t-il au quotidien
singapourien _The Straits Times_, qu’il comprend la supercherie. Son job ? Arnaquer chaque jour des centaines de victimes, qu’il amadoue virtuellement pour les pousser à investir en
cryptomonnaies dans des projets d’investissement factices. La technique du _Pig Butchering_ consiste à nouer une relation sur le temps long afin, comme son nom l’indique, d’engraisser le
cochon (encourager la victime à investir) pour ensuite mieux le dépecer (lui vider son compte). Pourquoi s’être prêté à cette escroquerie ? « Vous ne pouvez qu’obéir car vous êtes un
esclave. » A ceux qui n’atteignent pas les objectifs de leurs ravisseurs : la torture, parfois la mort, ajoute Abdus Salam, qui est parvenu à quitter cet enfer en septembre 2022. Le
Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme estime que des centaines de milliers de personnes en Asie du Sud-Est sont enrôlées de force par des bandes mafieuses dans des
centres de cyberescroqueries, où elles sont exposées à des « traitements cruels, inhumains et dégradants », « à la détention arbitraire » et « aux violences sexuelles ». Ces complexes
esclavagistes 2.0, principalement situés au Cambodge, en Birmanie et au Laos, ont pullulé ces dernières années. Le profil des victimes de ce trafic d’êtres humains ? « Beaucoup sont de
jeunes urbains, bien instruits, parlant plusieurs langues, rompus à la technologie, et qui, du jour au lendemain à cause du Covid-19, sont devenus vulnérables », explique un spécialiste des
questions de traite humaine en Asie du Sud-Est. Les gains liés au _Pig Butchering_ avoisineraient 75 milliards de dollars et Interpol s’inquiète d’une « explosion » du trafic d’êtres humains
lié à ces centres d’arnaques en ligne. Le phénomène, selon l’ONU, touche de plein fouet l’Asie du Sud-Est, épicentre de ce nouveau crime financier. Une raison notoire : sa proximité
géographique avec la Chine, dont est issue la majorité de ces groupes criminels transnationaux. Chassés par l’Etat-parti chinois, ils se sont déployés dans une région où la corruption, voire
l’implication, de certaines autorités locales leur permet de prospérer. Fin 2023, 41 000 Chinois soupçonnés d’être impliqués dans des réseaux de cyberescroqueries en Birmanie ont été
extradés vers la Chine. Difficile, cependant, de démanteler en profondeur ces entreprises crapuleuses. Pour Jason Tower, de l’Institut américain pour la paix, « la forte connectivité entre
ces réseaux criminels leur permet de se déplacer entre la Birmanie, le Cambodge et le Laos, utilisant la Thaïlande comme point de passage, passant parfois par le Vietnam, pour aller plus
loin, jusqu’aux îles du Pacifique. De sorte qu’ils peuvent facilement relocaliser ou déplacer leurs activités. » Ultramobiles et rompus à l’usage des nouvelles technologies, poursuit
l’expert, « ils ont une longueur d’avance sur la communauté internationale ». Selon lui, Dubai serait en train de devenir un autre centre important.