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La décision de la Cour suprême britannique du 16 avril dernier a considéré que les femmes trans ne pouvaient pas bénéficier des protections garanties aux femmes par l’_Equality Act_, socle
de la législation anti-discrimination au Royaume-Uni, estimant que les femmes devraient être définies par leur qualité biologique de mères ou de mères potentielles. Cette jurisprudence
patriarcale constitue une offensive idéologique transphobe de grande ampleur, et une victoire pour les courants politiques qui revendiquent la fixité et la binarité absolue du sexe : on a vu
des manifestants, et aussi des personnalités, au premier rang desquelles JK Rowling se réjouir de la décision, aboutissement d’une décennie de militantisme transphobe. On a vu le même
enthousiasme aux États-Unis de la part des partisans de Trump quand ce dernier a signé un décret fixant définitivement le sexe d’une personne à sa naissance. UNE JURISPRUDENCE AUX
CONSÉQUENCES DÉJÀ DRAMATIQUES POUR LES FEMMES TRANS Au-delà de réjouir les secteurs transphobes radicalisés, cette jurisprudence comme les décrets de Trump a des effets immédiats sur la
conditions des femmes trans, mais aussi des femmes cis, et des personnes LGBT, bien plus que l’on ne pourrait penser. Au Royaume-Uni, l’_Equality Act_, en plus d’interdire certaines formes
de discrimination, encadre également la mise en place d’espaces réservés à un seul sexe pour différents motifs, régissant de fait le traitement des femmes dans diverses institutions comme
l’école, l’université, la prison, les services de santé, etc… Ce texte organise ainsi le traitement des femmes par l’État, et sert de socle à toute une série de dispositions réglementaires.
Pour maquiller l’offensive transphobe, le texte contient une interdiction de discrimination « _fondée sur la réassignation sexuelle_ ». Dans les faits, il sert déjà à entériner et
approfondir la discrimination transphobe quotidienne, et à légitimer de nouvelles attaques. Dès le lendemain de la décision, la police ferroviaire britannique a annoncé que désormais,
lorsqu’une femme trans serait arrêtée, elle serait fouillée par des hommes. Une annonce répugnante quand on sait que les femmes trans sont déjà très exposées aux violences sexuelles lors de
fouilles au corps. Désormais, en application de la jurisprudence de la Cour suprême, il n’importe plus qu’une femme trans ait fait rectifier son sexe sur sa carte d’identité et sur son acte
de naissance : la police pourra contrôler un fichier pour savoir si la personne fouillée a obtenu à un moment donné un _gender rectification certificate_ ! Une procédure qui laisse surtout
les mains libres à la police pour fouiller et humilier des femmes, trans mais aussi appartenant à d’autres groupes stigmatisés comme les femmes racisées. L’_Equality Act_ régule également
les fameux « espaces réservés aux femmes », desquels les transphobes revendiquent de longue date l’exclusion des femmes trans. Juridiquement, cette décision permet donc de limiter l’accès
des femmes trans à de nombreux espaces, des compétitions sportives et aux toilettes en passant par les prisons pour femmes et refuges pour victimes de violences. Les impacts sont aussi
humiliants que violents, augmentant le risque de subir des contrôles ou des agressions dans les toilettes. Les services de santé séparés peuvent par exemple concerner des unités
hospitalières de psychiatrie, dans le but de réduire le risque de violences sexuelles entre patients dans un contexte où le personnel ne peut pas assurer la sécurité de tout le monde : en
exclure les femmes trans revient à choisir de les exposer à ces violences. Concernant les refuges pour les femmes victimes de violences, les femmes trans subissent une double-peine : alors
qu’elles sont très exposées aux violences conjugales, et souvent pauvres, elles pourraient être privées d’une possibilité d’hébergement d’urgence, alors que l’hébergement d’urgence pour
hommes sans domicile fixe est largement saturé. Elles seraient donc davantage exposées aux violences et n’auraient pas accès aux ressources - déjà très limitées - permettant de sortir de ces
situations. La légalisation de ces exclusions diabolise les femmes trans en les dépeignant, dans un retournement complet de la situation, comme des agresseurs potentiels. Mais cette
évolution impactera aussi d’autres femmes, car il n’y a pas de moyen objectif de prouver qu’une femme n’est pas trans, sauf à trouver dans un fichier qu’elle a fait rectifier son acte de
naissance. Plus profondément, elle renforce les notions patriarcales des définitions du genre, en appuyant par exemple que les femmes sont biologiquement inférieures aux hommes dans le
sport. Enfin, le _National Health Service_ (NHS), le système public de santé britannique, qui avait déjà démontré en mars 2024 sa transphobie en mettant fin à l’autorisation de prescription
de bloqueurs de puberté pour les mineurs, a profité de l’élan donné par la décision de la Cour suprême pour annoncer qu’il « testera » désormais tous les enfants suivis pour leur
transidentité afin de détecter un éventuel trouble autistique. Il s’agit d’une instrumentalisation validiste des études laissant penser une surreprésentation de personnes autistes parmi les
personnes trans. Cette nouvelle pratique du NHS renforce donc l’oppression des jeunes trans, mais aussi des jeunes ayant un handicap ou un trouble psychique. En bref, la décision de la Cour
suprême du Royaume-Uni est parfaitement réactionnaire, et sert à légitimer et à renforcer l’exclusion des personnes trans et en particulier des femmes trans de pans entiers de la vie
sociale, tout en les exposant à davantage de violences. Mais en plus, elle renforce toute une série de mécanismes de contrôle social sur les femmes, sur les secteurs les plus criminalisés
que sont les personnes racisées, sur les personnes ayant des troubles psychiques… et ouvre la voie à ce titre à des attaques envers tous ces secteurs, qui pourront s’appuyer sur l’oppression
légale des femmes trans. FACE À LA DÉCISION DE LA COUR SUPRÊME, L’UNANIMITÉ TRANSPHOBE DANS LA CLASSE POLITIQUE Au Royaume-Uni, comme aux États-Unis, les offensives transphobes sont très
avancées et constamment promues dans les médias. Le contenu de la décision de la Cour suprême était déjà une [promesse de campagne du Parti
conservateur→https://www.theguardian.com/society/article/2024/jun/02/tories-will-allow-bars-on-trans-women-says-kemi-badenoch] qui, en juin dernier, souhaitait interdire aux personnes trans
d’accéder aux espaces genrés. Les libéraux-démocrates, de centre-gauche, affichent leur soutien aux personnes trans sur leur site internet, mais sont loin d’être des alliés fiables : attaqué
sur son programme en juin dernier par des groupes transphobes, le parti s’est excusé en expliquant être favorable à une procédure judiciaire pour le changement d’état civil des personnes
trans et non pour une auto-déclaration comme on aurait pu naïvement le penser au vu de leur ouverture affichée. Tergiversant sur la question dans ses interviews, leur leader Ed Davey
entretient des positions floues, voire ouvertement réactionnaires, en déclarant par exemple que la décision de la Cour suprême pourrait « _générer beaucoup d’anxiété_ »… parce que les hommes
trans pourraient également représenter une menace pour les femmes ! Du côté de la gauche institutionnelle, c’est au sein du Parti travailliste, qui a majoritairement soutenu la décision de
la Cour suprême, qu’on voit le plus de remous. La secrétaire d’État à l’Education et ministre déléguée à l’Égalité Bridget Phillipson a déclaré que le Parti travailliste « _a toujours
défendu la protection des espaces réservés aux femmes en fonction du sexe biologique_ ».. Bien que Keir Starmer, premier ministre travailliste, s’était montré plus ambigu sur la question en
2022, son porte-parole a déclaré clairement à la suite de la décision de la Cour suprême que « _Keir Starmer ne croit pas que les femmes trans soient des femmes_ ». D’autre part, la presse
de droite, qui a réussi à obtenir des fuites d’une conversation WhatsApp entre membres LGBT du Parti travailliste a agité le spectre d’une révolte pro-trans au sein du Parti de
centre-gauche. En réalité, les fuites mettent en évidence des critiques très modérées comme celle de Dame Angela Earle, pour qui la décision « _n’est pas aussi catastrophique qu’elle aurait
pu l’être_ ». Une adaptation grave, à un contexte de radicalisation transphobe de pratiquement tout le champ politique ! Si quatre députés travaillistes signaient récemment une déclaration
contre la décision, il est clair que la majorité du parti ne fait même plus semblant de protester face à une décision aussi grave pour les droits des personnes trans, une situation qui
laisse imaginer la puissance des groupes transphobes au Royaume-Uni et les relais dont bénéficient leurs idées. L’OPPOSITION POUR LES DROITS TRANS DOIT SE CONSTRUIRE PAR EN BAS, EN LIEN AVEC
LE MOUVEMENT OUVRIER Plus que jamais, les personnes trans du Royaume-Uni n’ont rien à attendre de la politique institutionnelle. À l’heure actuelle, de grands rassemblements se sont
enchaînés dans tout le pays, les week-ends du 19 et du 26 avril dernier pour protester contre l’énorme offensive transphobe en cours au Royaume-Uni, rassemblant des dizaines de milliers de
personnes dans plus de 20 villes du pays, et d’autres sont déjà planifiées pour le mois de mai prochain. Ces mobilisations font déjà suite à la Trans Pride de Londres historique en juillet
dernier qui, après une campagne électorale marquée par la transphobie, a mis 55 000 personnes dans la rue avec le soutien de syndicats et de partis d’extrême-gauche. Les mobilisations
actuelles sont menées par des groupes de militants trans organisés en front inter-organisations et sont soutenus par les syndicats du service public, de l’Education nationale, des personnels
soignants, des universités, des PTT, malgré les intimidations des groupes transphobes. Ce soutien de syndicats entiers aux droits des personnes trans, dans un climat aussi réactionnaire que
celui qui règne au Royaume-Uni est aussi le résultat de l’intervention de partis révolutionnaires en leur sein, tandis que la presse bourgeoise faisait campagne pour les pousser vers des
positions transphobes. Cette participation des syndicats dans la lutte contre la transphobie exprime sa dimension de classe, et la nécessité de consolider un courant pro-ouvrier parmi les
personnes trans en lutte, et de continuer à démasquer les trahisons du Parti travailliste. Sous Margaret Thatcher, la communauté LGBT britannique s’était mobilisée contre la _section 28_,
une loi homophobe interdisant la « propagande » LGBT, et en avait obtenu l’abrogation : les personnes trans et leurs alliés vivent à nouveau ce genre de moment crucial au Royaume-Uni. Ce qui
est certain est qu’il faut maintenant mettre toutes les forces possibles dans la bataille pour concrétiser les alliances déjà existantes dans des initiatives par en bas, portées par exemple
par le mouvement ouvrier dans la santé ou encore dans l’éducation. Il s’agit d’une dimension cruciale pour faire reculer les réactionnaires de toutes sortes et leurs relais.