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La Belgique est le seul pays européen à avoir réglementé la profession de « promeneur pour chien ». Un métier qui ne s'improvise pas outre-Quiévrain. Si vous voulez promener Médor, il vous
faudra suivre une formation théorique sur le comportement canin et maîtriser les techniques de gestion de groupes. Attention, pas plus de 5 ou 8 chiens en même temps, et selon une sélection
qui tiendra compte de la taille et du tempérament des toutous réunis. Bien sûr, le promeneur professionnel devra souscrire une assurance civile spécifique. Si un transport automobile est
nécessaire au-delà de 65 kilomètres, le promeneur de canidés devra obtenir une autorisation pour transport d'animaux vivants et se doter d'un véhicule adapté.
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On peut en sourire, mais il existe ainsi 5 700 ( !) professions réglementées en Europe. Et si vous pensiez que seule la Belgique avait des idées originales, sachez que la Pologne a
réglementé la profession de « cueilleur de champignons ». Quant à l'Allemagne, championne autoproclamée du marché intérieur, elle réglemente plus de 33 % de ses professions. L'Europe,
continent où l'on peut traverser huit pays en une journée, mais où un architecte français ne peut pas dessiner un immeuble en Allemagne sans passer par des procédures d'équivalence
kafkaïennes.
Voilà le défi que s'apprête à relever Stéphane Séjourné, commissaire européen au marché intérieur, avec sa nouvelle stratégie dévoilée ce mercredi 21 mai. Une révolution silencieuse mais
potentiellement explosive, tant les intérêts établis sont puissants. « Chaque réglementation a son chien de garde », glisse-t-on dans les couloirs de la Commission. Et son promeneur ?
« Il est temps que les entreprises européennes s'européanisent avant de s'internationaliser », affirme Stéphane Séjourné pour résumer sa vision. L'enjeu est de taille : selon la Commission,
le marché unique a déjà accru le PIB européen de 3 à 4 % et créé 3,6 millions d'emplois depuis sa création. Mais son achèvement pourrait doubler ces gains.
Premier changement majeur : l'abandon de l'approche horizontale, celle qui tentait d'appliquer les mêmes règles à tous les secteurs. « On a un peu épuisé la stratégie horizontale parce qu'on
a été jusqu'au bout de tout ce qu'on pouvait faire en termes de lever des barrières », explique un haut fonctionnaire européen. Désormais, Bruxelles va s'attaquer secteur par secteur aux
obstacles qui entravent la libre circulation.
Construction, services postaux, services financiers… Chaque domaine sera passé au crible pour identifier et éliminer ses barrières spécifiques. La Commission annonce déjà une « Construction
Services Act » et un « EU Delivery Act » pour moderniser les règles dans le secteur de la construction et des services postaux. L'objectif est ambitieux : réduire ce que les économistes
appellent les « équivalents droits de douane » – ces coûts cachés générés par les différences réglementaires entre pays. Selon le FMI, ils représentent 50 % de surcoûts pour les biens et
jusqu'à 100 % pour les services. Des chiffres qui font frémir quand on pense que l'Europe a officiellement aboli ses droits de douane intérieurs… il y a plus de 30 ans.
Prenez une simple bouteille d'eau minérale française. Pour la vendre en Allemagne, il faut changer l'étiquetage. Pour la commercialiser en Italie, rebelote. Sans parler du fameux logo «
Triman » obligatoire (depuis 2015, renforcé en 2021) en France pour les emballages recyclables – une spécificité si contraignante que la Commission envisage d'attaquer Paris pour entrave au
marché intérieur.
La solution ? Un QR code qui remplacerait progressivement tous ces étiquetages nationaux. « Ça nous permet de multiplier les logos, de ne pas avoir de coût d'entrée pour les producteurs de
biens sur les différents marchés et y compris de pouvoir les changer assez rapidement », explique un responsable du dossier à la Commission. Une mesure simple qui pourrait faire gagner «
0,02 point de compétitivité » aux entreprises européennes. Quand on lutte contre les géants américains et chinois, chaque fraction de point compte.
Même approche pour les notices d'utilisation, aujourd'hui imprimées en 24 langues dans des livrets parfois plus volumineux que le produit lui-même. « L'étiquetage de la plus petite peluche
vendue coûte aussi cher que la peluche elle-même », rapporte-t-on à la Commission. La digitalisation permettrait aux fabricants d'économiser sur ces coûts tout en garantissant l'accès à
l'information dans chaque langue. Cette digitalisation des déclarations de conformité fait partie d'un ensemble de mesures visant à économiser 400 millions d'euros par an pour les
entreprises européennes, s'ajoutant aux 8 milliards d'euros déjà ciblés via d'autres mesures de simplification.
Autre innovation majeure : la Commission veut s'arroger le pouvoir d'imposer elle-même des standards en cas d'inaction des organismes compétents. Une forme d'« électrochoc » pour des
institutions comme le CEN (Comité européen de normalisation), Cenelec (Comité européen de normalisation électrotechnique) ou l'ETSI (Institut européen des normes de télécommunication),
accusées de traîner des pieds sur des sujets stratégiques comme les batteries ou les pompes à chaleur.
« On met plusieurs années à avoir des éléments de standardisation, alors même que la Chine et les États-Unis les ont déjà et nous les imposent sur le marché international », s'agace un haut
responsable. Une situation d'autant plus absurde que l'Europe subventionne massivement ces technologies via des crédits d'impôt nationaux… sans avoir défini de standards communs.
Pour les professions réglementées, Bruxelles change également de méthode. Plutôt que d'attendre un hypothétique accord unanime, la Commission va autoriser les « coalitions de volontaires » –
des groupes de pays qui décideront entre eux de reconnaître mutuellement leurs qualifications professionnelles.
Premier secteur ciblé : les kinésithérapeutes, « la profession qui circule le plus » en Europe. Suivront sans doute d'autres métiers, mais certainement pas les 5 700 professions actuellement
réglementées. L'objectif n'est pas de supprimer toute réglementation, mais de faciliter la reconnaissance des qualifications pour que « les meilleures personnes » puissent travailler « aux
bons endroits ».
Plus largement, la Commission a identifié les « terrible ten » – les dix barrières les plus nuisibles au marché unique, dont la reconnaissance limitée des qualifications professionnelles,
le manque de normes communes, et les règles contraignantes pour le détachement des travailleurs dans les secteurs à faible risque.
C'est l'une des mesures phares de la stratégie : la création d'un « 28e régime » permettant aux entreprises d'opérer dans toute l'Union sans devoir créer des filiales dans chaque pays. Une
avancée considérable pour les sociétés en croissance qui, aujourd'hui, doivent multiplier les structures juridiques, les représentants légaux et les démarches administratives pour
s'européaniser.
L'ambition est de construire ce statut par étapes, en commençant par les aspects juridiques, puis bancaires et, en dernier lieu – mais ne le répétez pas trop fort –, fiscaux. « Le jour où on
harmonise l'impôt sur les sociétés… », sourit un initié sans terminer sa phrase, tant la perspective semble lointaine. En attendant, le simple fait de pouvoir opérer sans filiales
nationales constituerait déjà une petite révolution.
La Commission introduit également une nouvelle définition des « small mid-caps » (PME intermédiaires) – près de 38 000 entreprises européennes comptant entre 250 et 750 employés et
atteignant jusqu'à 150 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ces entreprises bénéficieront d'exemptions ciblées, notamment concernant le RGPD (règlement sur la protection des données) où
elles ne devront tenir des registres que pour les activités « à haut risque ».
Pour faciliter leur identification, Bruxelles lance un « SME ID », outil en ligne permettant de vérifier facilement le statut de PME. L'objectif : encourager ces entreprises à croître sans
craindre le « mur » des contraintes réglementaires qui les attendait jusqu'ici au-delà du seuil des 250 employés.
La stratégie ne se contente pas de grands principes. Elle s'attaque à des problèmes très concrets, comme la définition disparate des déchets toxiques, qui empêche aujourd'hui leur
circulation entre pays européens pour recyclage. Situation ubuesque : certains déchets peuvent être exportés hors d'Europe mais pas transportés d'un État membre à l'autre.
Autre initiative pragmatique : la création d'un système de réservation unique pour le transport ferroviaire européen. Fini le casse-tête pour acheter un billet Paris-Budapest qui oblige
aujourd'hui à passer par plusieurs opérateurs nationaux. Même logique pour la location transfrontalière de voitures, aujourd'hui semée d'embûches.
La Commission ne se contente pas d'intentions. Elle a établi un calendrier précis pour chaque initiative : la loi sur les télécoms unique est prévue pour fin 2026, la réforme des marchés
publics avec préférence européenne également pour 2026, tandis que la « Barrier Prevention Act » – texte qui renforcera les pouvoirs de Bruxelles contre les entraves au marché – est
programmée pour le troisième trimestre 2027. Des projets plus modestes démarreront dès le troisième trimestre 2025, comme l'initiative sur la location transfrontalière de voitures ou le
système de réservation ferroviaire unique.
Consciente que les obstacles ne sont pas seulement techniques, mais aussi politiques, la Commission va recommander à chaque gouvernement de nommer un « sherpa du marché intérieur » pour
élever les discussions au niveau ministériel. « Si on veut vraiment avoir des résultats, au-delà du changement de logistique horizontal à vertical, l'idée est de pouvoir traiter le sujet au
niveau politique », explique Stéphane Séjourné. Une façon d'impliquer les ministres plutôt que de laisser les fonctionnaires se perdre dans des discussions techniques sans fin. Un certain
volontarisme politique sera nécessaire…
Ironie de l'histoire : c'est Donald Trump, chantre du protectionnisme, qui pousse l'Europe à accélérer l'intégration de son marché intérieur. « Trump est un formidable accélérateur pour nous
», reconnait le vice-président de la Commission. La menace de droits de douane américains et le risque de voir les surcapacités chinoises se déverser en Europe poussent les Vingt-Sept à
surmonter leurs réticences.
Reste à voir si les chiens de garde des 5 700 professions réglementées et autres rentes de situation accepteront de lâcher prise. La bataille ne fait que commencer, mais cette fois,
Bruxelles semble déterminée à laisser les chiens aboyer en poussant avec opiniâtreté sa caravane.
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