Classes d’accueil: laïcité, sport et petits miracles

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D’où viens-tu, Diego? De la Colombie, a-t-il répondu avec un sourire désarmant et un léger accent latino. Et tes amis, à l’école, ils viennent d’où? «Du Mexique, du Cameroun», énumère-t-il.


L’école compte d’ailleurs quatre classes d’accueil pour les nouveaux arrivants. Diego a intégré l’une des classes à son arrivée au Canada, l’an dernier. Tu te plais, ici, Diego? Je suis


bien, dit-il. Il aime les profs, l’atmosphère, la camaraderie. Mais il ne raffole pas des mathématiques. Le français? Misère, le français, c’est difficile… À LIRE AUSSI Reste que comme bien


d’autres élèves des classes d’accueil, Diego ne parlait pas un mot de français lorsqu’il est arrivé au Canada. En 16 mois, il a fait des progrès remarquables au sein des classes d’accueil.


Assez qu’on prévoit l’intégrer à une classe régulière dès l’an prochain, dit Émilie Séguin, directrice de l’école. Pour tous les nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas le français, la


classe d’accueil est un passage obligé. «Il faut que l’enfant sache parler et comprendre le français avant de pouvoir intégrer une classe régulière», résume Émilie Séguin. Tout un défi pour


plusieurs d’entre eux. «Certains enfants qui arrivent ici sont passés par des aventures dignes d’un film d’Hollywood, reprend la directrice. On a des élèves qui ont habité dans des camps de


réfugiés toute leur vie. D’autres qui ont vécu des traumas complexes. Leur histoire de vie peut affecter la capacité d’apprentissage, surtout en période d’adaptation». LA LAÏCITÉ Arrivée de


Tunisie en septembre dernier, Essil se débrouille déjà fort bien en français, même si sa langue maternelle est l’arabe. Elle aussi se plaît à l’école Parc-de-la Montagne. «Je me suis fait


des amies de partout. Du Rwanda, de l’Irlande…» Et ta culture, Essil? Sens-tu qu’on la respecte ici? La… culture? Essil a trébuché sur le mot, pas trop sûre de comprendre la question. «Tu es


musulmane, Essil, a enchaîné Émilie Séguin. Est-ce que tu te sens valorisée ici?» «Ah mais oui!» a dit Essil. On a beaucoup parlé de laïcité au Québec avec la saga de l’école Bedford à


Montréal. À l’école Parc-de-la Montagne, ce n’est pourtant pas un enjeu. «Sur le terrain, on n’a aucun, mais alors aucun enjeu de laïcité, dit Émilie Séguin. Ici, on était un milieu super


pluriethnique avant même l’intégration des classes d’accueil. Oui, on fait face à plusieurs religions. Mais on en parle beaucoup. Ça fait partie des valeurs de l’école, de notre code de vie.


On fait énormément d’enseignement universel pour être en prévention. Et je pense que cela porte ses fruits. Quand je regarde nos données, il n’y a pas d’enjeu en lien avec l’ethnicité ou la


religion. Pas du tout.» LA PROF: LA FIGURE D’ATTACHEMENT Myriam Lemieux est enseignante en classe d’accueil depuis neuf ans. Elle-même a appris sept langues différentes. «Mais en classe, je


n’utilise jamais une autre langue que le français, sauf en cas d’urgence», précise-t-elle d’emblée. Et comment fait-on pour communiquer en français avec des enfants qui ne comprennent pas


un mot? «On utilise beaucoup de visuel. Des gestes, des images, des photos. Et on répète, on répète, et on répète encore…» Et ça marche. «Notre grande récompense, c’est que tu vois vraiment


la différence à la fin de l’année. Au début, ils ont l’air de petits extraterrestres qui débarquent sur Terre. À la fin, ils papotent sans arrêt.» Le prof de la classe d’accueil devient


souvent un point d’ancrage pour les jeunes immigrés. «Pour les élèves, on est une grande figure d’attachement. On est leur premier repère quand ils arrivent au pays. Ça crée des liens


durables», dit Myriam. LE LANGAGE UNIVERSEL DU SPORT Les nouveaux arrivants passeront entre quelques semaines et deux ans en classe d’accueil avant d’intégrer le programme régulier. Mais dès


le départ, on essaie de les mêler au reste des enfants, à l’heure du dîner, à la récréation ou dans les cours d’éducation physique. «Le langage du sport est universel, dit Andréanne C.


Séguin, enseignante en éducation physique. Un cours d’éducation physique crée un espace où les élèves peuvent s’exprimer et communiquer de manière différente.» Le soccer et le basketball


font l’unanimité chez les nouveaux arrivants. Mais ils sont moins exposés à de nombreux sports qu’on pratique au Québec comme le badminton, le tennis, le kin ball ou le ski de fond. L’hiver


dernier, Andréanne C. Séguin les a amenés jouer à la ringuette en bottines sur la patinoire. «Ils sont très curieux. Et mon objectif demeure qu’ils communiquent en français à travers le


sport. On leur apprend les mots: ballon, raquette, hors-jeu, faute…» Le sport devient aussi un prétexte pour promouvoir l’égalité homme-femme. «Dans certains pays, la femme ne fait pas de


sport», a noté Andréanne. Pour d’autres, le sport devient un moyen de les valoriser, voire de les inciter à venir à l’école. Andréanne a inscrit ses élèves au programme Nager pour survivre


de la Société de sauvetage du Québec. Plusieurs ne savaient pas nager du tout. Or le test final consiste à nager sur place pendant une minute et à se déplacer sur une distance de 50 mètres.


«Sont tous allés! s’extasie encore Andréanne. C’était de les voir prendre leur courage à deux mains. De sauter à l’eau, malgré la peur de l’inconnu, malgré l’effet de groupe qui peut être


paralysant.» MANQUE DE RESSOURCES C’est le genre de petits miracles qui s’accomplit à Parc-de-la Montagne. Même si les moyens ne sont pas toujours à la hauteur. «Si tu me demandes si on a


les ressources nécessaires, je suis obligée de te dire non, a dit Myriam Lemieux, la prof de la classe d’accueil. On aurait besoin d’éducateurs spécialisés ou d’orthopédagogues. Émilie


Séguin soulève la difficulté de bien évaluer les enfants avec la barrière de la langue. «Les psychologues scolaires qui parlent le pachtoune ou l’arabe ne courent pas les rues!»,


note-t-elle. C’est sans compter les épreuves vécues par les parents. «On a des réfugiés, des demandeurs d’asile qui sont à statut précaire. Ils sont en mode survie. C’est sûr que


l’apprentissage du français, pour eux, n’est pas une priorité. Mais je dirais que pour les enfants, ça l’est. Eux, ce qu’ils veulent, c’est jouer avec les amis. Et pour jouer, il faut


communiquer!» Je me suis tourné vers Diego et Essil. Dis-moi, Diego, que veux-tu faire dans la vie? «Pilote d’avion militaire!», a-t-il répondu, les yeux brillants. Et toi, Essil?


«Enseignante en éducation physique ou policière.» Policière, Essil? «Je me verrais bien en uniforme», a-t-elle répondu avec un grand sourire.