Articles audio : pourquoi certains préfèrent écouter la presse écrite

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Les titres de presse écrite sont de plus en plus nombreux à proposer la fonctionnalité des articles lus, pour leurs abonnés.  © Crédits photo : montage La Revue des médias / captures


d'écran La Matinale, Le Monde, Le Monde diplomatique, Le Point, L'Express, Mediapart, The Economist, L'Équipe, Le Figaro De plus en plus de titres de presse écrite proposent


des versions lues de leurs articles sur leurs sites ou applications, avec des voix naturelles ou de synthèse. Avec quels résultats auprès des lecteurs ? Xavier Eutrope Publié le 19 décembre


2023 C’est le petit-déjeuner. Attablée devant un café, Élisa sort son téléphone. Elle lance l’application du _Monde_, sélectionne un article et lance la lecture automatique. Après avoir


ajouté cette option sur l’application _La Matinale _en novembre 2022_, _le quotidien la teste en effet depuis quelques mois sur une petite partie des utilisateurs de son application


principale. Il a ainsi rejoint des titres proposant cette fonctionnalité à leurs abonnés depuis quelques années. Comme _Le Monde diplomatique_ (225 606 écoutes en moyenne par mois en 2023),


_L’Express _(30 000 écoutes par mois sur l’application et le site, deux à trois articles écoutés par utilisateur et par mois, 600 articles générés par mois), _Mediapart_ (sélection de cinq


articles par semaine, 24 000 écoutes par mois, avec en moyenne 14 000 auditeurs uniques mensuels), sans oublier _Le Figaro_. _Libération _prévoit également de s’y mettre en 2024. Professeure


d’histoire-géographie dans le secondaire dans le centre de la France, Élisa, 29 ans, est abonnée au _Monde_ et à _Mediapart_. Mais elle n’écoute que le premier, elle n’a pas remarqué que


_Mediapart_ proposait aussi cette fonctionnalité, avec des acteurs. Quand elle est déprimée, elle opte pour des articles « _feel good_ », mais écoute le plus souvent les papiers à la Une. « 


_J'aime vraiment bien les articles du_ Monde, raconte-t-elle, le téléphone à la main. _Dernièrement, je n'ai pas pu beaucoup en lire, et ça me pose un souci. Si des élèves me


posent des questions, me demandent des références, je ne peux pas forcément répondre et c'est un problème_. » Et d’ajouter que s’informer, « _c’est un peu [son] boulot aussi _». « UNE


ÉCOUTE PASSIVE » Ces articles, si elle en avait le temps, elle les lirait. Mais justement, quels moments consacre-t-elle à cette écoute ? Élisa l’avoue, « _faire des_ _trucs_ » en silence


chez elle, ce n’est pas sa tasse de thé. « _Si je rentre du boulot, que je dois faire à manger ou que je n'ai pas le temps de me poser pour lire, eh bien j'écoute._ » Et dans la


voiture alors ? « _Il faudrait que j'aie une enceinte. Je préfère écouter la radio dans ce cadre-là._ » D’ailleurs, la professeure écoute beaucoup de podcasts, ces pratiques sont mêmes


liées, selon elle. « _Si je n'écoutais pas de podcasts, je n'aurais pas forcément écouté ces articles lus automatiquement. Mais je n’en écoute pas non plus trois par jour. Et s’il


y a un podcast de France Culture vraiment intéressant sur le même sujet, je vais le prioriser_. » Pour Soundoussia, 29 ans, attachée de presse, ces offres sont incontournables dans sa


routine quotidienne d’information. Principalement en télétravail, lorsqu’elle exécute une action qui n'a pas de « _valeur ajoutée intellectuellement, longue et répétitive_ ». Durant des


sessions d’une heure, « c_'est un peu comme si j'écoutais un podcast et ça me permet de parcourir la presse rapidement_ », ajoute-t-elle. Elle concentre sa lecture sur quelques


médias : _Le Monde_, _Le Figaro_ — parfois _Le_ _Parisien_ — et écoute les articles, d’une durée comprise entre cinq et dix minutes. Soundoussia est aussi une fidèle de la revue de presse


internationale de France Culture le matin, ainsi que des podcasts du _Parisien _et des _Échos. _« _Étant donné mon travail, il est important que je puisse passer en revue l'actualité._


Pour Soundoussia, tout comme Élisa, cette pratique est un « _pis-aller_ » : « _Je le fais par manque de temps._ » > « _ÉCOUTER PEUT-ÊTRE PARFOIS PLUS FATIGANT, FINALEMENT_ » Les articles


lus sont un bonus pour Timothée — un _nice to have_, pour reprendre son expression. Âgé de 30 ans, le responsable digital dans les télécoms est un auditeur quotidien de podcasts,


principalement sur le chemin du travail. L’écoute d’articles se retrouve cantonnée aux moments sédentaires. « _J'écoute zéro article la plupart des jours, mais parfois ça peut monter


entre cinq ou dix en une journée_, analyse-t-il_. Si j’en écoute un tout en scrollant sur autre chose, c’est que je n'ai pas envie de passer cinq minutes à le lire. C'est une


écoute passive, comme pour la radio en fond_. _Je lis si je suis vraiment intéressé par les sujets. _ » Son offre préférée d’articles à écouter ? _The Economist _ — pour les abonnés — depuis


son ordinateur. « _La voix est naturelle, ça donne l'impression d'écouter un podcast. C'est le même article à la virgule près, dans un anglais très propre._ » « _Avide


lecteur_ _du_ Monde » sur le site, il ne savait pas que l’option existait sur l’application. « _Je ne suis pas sur le bon canal _», ajoute-t-il en riant. Si la voix naturelle peut


convaincre, l’équivalent synthétique crée de la frustration. Le résultat est « _un peu aride_, estime Élisa, abonnée au _Monde. Mais ça correspond à l’identité audio du journal, même chose


avec leur podcast “L’Heure du _Monde_”_. » Yannick, 42 ans, occupe un emploi administratif. Des articles lus, il en a écouté. Un peu. Et puis il a vite arrêté. « _C'est pas génial en


fait_, dit-il, de but en blanc. _Un jour, j'écoutais un podcast et je suis tombé sur un article sur le site du _Figaro_. Il avait l'air intéressant, j'ai vu qu'il était


possible de l'écouter. Comme j'avais mes oreillettes, je l'ai lancé... et j'ai tenu la moitié de l'article. Le ton est trop monotone, et on retrouve les mêmes voix


un peu partout, ça n'a pas de personnalité. Je n'arrive pas à entrer dedans._ » « _Lorsque j’écoute un article très long avec une voix artificielle, j’ai du mal à me concentrer_,


abonde Soundoussia. _Ça devient juste un fond sonore._ » Elle se plaint également de coupures lorsqu’elle parcourt l’application du _Monde_. « _Il y a des limites techniques_, renchérit


Timothée. _Lorsque tu lances l’écoute d’un article, il est quasi impossible de savoir où tu te trouves dans le texte. Et s’il y a un problème, que ça se déconnecte, bon courage pour


reprendre la lecture où ça s’est arrêté_. » Sans parler des voix synthétiques et de leur « _petit côté GPS des années 2010_ ». « TERMINATOR » Grand auditeur de podcasts et de radio, Stephan,


58 ans, travaille à l’intersection des nouvelles technologies et des médias. Il écoute_ _«_ une quinzaine ou vingtaine d’articles lus par jour_ » — mais quasiment aucun venant de médias


français. « Le Monde _se détache nettement : du fait de l’incarnation de ses contenus avec ces __voix clonées__ — _l’intelligence artificielle permettant de reproduire avec précision les


intonations de voix d’actrices et acteurs —_ la lecture est beaucoup plus personnifiée_, analyse-t-il. _La plupart des autres médias utilisent les mêmes voix, les mots sont mal transcrits en


audio, la lecture est toujours saccadée avec des grossières erreurs de retranscription._ » Entre les frictions techniques et le travail supplémentaire pour bien comprendre ce qui est dit, «


 _écouter peut-être parfois plus fatigant, finalement_ ». Plusieurs personnes contactées racontent aussi recourir à de l’écoute automatique de contenus en ligne — sans pour autant passer par


les offres des sites d’information. Perceval Barrier, illustrateur de livres pour enfants, n’est abonné à aucun site d’information proposant cette option. Avant de travailler, il


sélectionne un article, le télécharge en PDF, l’ouvre avec TextEdit sur son Mac, puis lance la synthèse vocale. « _Le résultat de la synthèse vocale sur Mac est épouvantable_, assène-t-il.


_Mais c'est une façon pour moi de beaucoup lire tout en travaillant, car je prends peu le temps de le faire sur mon temps libre_. » Le style, l’humour des articles — ceux d’_Arrêt_ _sur


images_, par exemple, qu’il écoute de cette façon — sont « _dégommés ». _Mais cela crée, selon lui, une certaine poésie supplémentaire. > « _L'accessibilité des sites de presse en 


général est juste > catastrophique_ » Francis*, la quarantaine, auto-entrepreneur dans le bâtiment, écoute des articles en passant par la synthèse vocale de son navigateur web favori,


Firefox — Chrome propose la même chose. Pour lui, pas question de gagner en temps et en efficacité. Non, l’enjeu est de pouvoir s’informer malgré son handicap. « _J’ai des problèmes aigus de


concentration, au niveau cognitif. Les intervalles où je peux lire en pleine possession de mon attention sont limités_ », décrit-il. Avant d’utiliser les fonctionnalités des navigateurs


web, Francis écoutait les articles, comme Perceval, en passant par la synthèse des traitements de texte — « _les voix, c’était Terminator_ ». Puis il est passé sur les offres des médias,


lors de leur apparition (« _J’en étais très content_ »)… avant de totalement les abandonner. Pourquoi ? « _La fonction native de Firefox a pour avantage de proposer une option de vitesse de


lecture. Ce qui peut me permettre de mieux profiter du texte. Dans les moments où c'est nécessaire pour moi de consulter des informations, j'ai besoin que ça parle vite parce que


mon temps de concentration est court._ » Il ne se voit pas « _retourner en arrière_ », vers les offres d'écoute des sites d'information. « _Ces offres de synthèse vocales sont


faites essentiellement pour des gens qui sont soit des personnes empêchées de lire, les dyslexiques et dyspraxiques_ », estime Manuel Pereira, 59 ans. D’ailleurs, le responsable du pôle


accessibilité de l’association Valentin Haüy, qui accompagne les déficients visuels, ne les utilise pas non plus. Il est pourtant aveugle : « _Avec leurs systèmes, les journaux ne nous


visent pas du tout en tant que public_. » Pour s’informer en ligne — « _l'accessibilité des sites de presse en général est juste catastrophique_ », ajoute-t-il par ailleurs — Manuel


Pereira utilise des assistants techniques. Apparus au milieu des années 1990, ils intègrent la synthèse vocale et le braille. « _Ils me proposent des choses de très bonne qualité, qui me


permettent de naviguer dans les articles, de paragraphe en paragraphe, d’avoir une lecture très spécifique_. » À travers ces témoignages, se dessine donc l’offre idéale : une voix naturelle,


doublée d’une ergonomie adaptée à tous. À bon entendeur ? * Le prénom a été modifié à la demande de la personne